La biologiste Sarah Baatout nous raconte son aventure en Antarctique

La station Princesse Elisabeth, réputée pour être la plus belle de l'Antarctique. © DR

La chercheuse belge Sarah Baatout revient de la station polaire Princesse Elisabeth. Rayonnante, elle nous raconte cette incroyable expérience aux confins de la Terre. Une aventure hors normes qu’elle verrait bien se poursuivre… dans l’espace.

Son sourire en dit long. Lorsque Sarah Baatout nous reçoit pour nous raconter ses aventures au pôle Sud, il ne faut pas cinq minutes pour s’immerger complètement dans son récit. La chef d’unité de radiobiologie du Centre d’étude de l’énergie nucléaire – un titre à rallonge qu’elle aura vite fait de rendre plus concret dans notre esprit – relate avec tant de dynamisme le mois qu’elle a passé là-bas, de mi-décembre 2017 à mi-janvier 2018, qu’on se sent télétransporté. C’est que la biologiste, formée à l’UCL et dont la thèse de doctorat portait sur l’oncologie, aime partager cette passion pour l’humain qui l’anime depuis toute petite. « Mon père était diplomate et ma mère institutrice mais à la maison, il y avait une grande quantité d’encyclopédies médicales et j’étais très intéressée par ces planches avec ces pathologies affreuses… Je suis fascinée depuis mon enfance par ce qui fonctionne mal dans le corps et par les moyens de contrecarrer ça. C’est le lien dans tout ce que je fais : essayer de comprendre ce qui se passe à l’intérieur de nous, que ce soit pour soigner un cancer, dans une station polaire ou lors d’un futur voyage vers Mars. »

Sur place, le plus extraordinaire, c’est cette chaleur entre les personnes.

Des matières qui ne semblent en soi pas connectées mais qui, en réalité, le sont énormément. « Une grosse partie du travail du Centre d’étude de l’énergie nucléaire, où je suis aujourd’hui, est d’implémenter des protocoles pour pouvoir soigner de manière personnalisée, par radiothérapie, des patients cancéreux. Mais en parallèle, notre équipe planche aussi sur la biologie spatiale : nous suivons depuis de nombreuses années les astronautes qui sont dans la Station spatiale internationale. Nous récupérons leurs échantillons de sang, d’urine, de salive… afin d’étudier l’impact de cet environnement extrême sur eux. » Tout cela afin d’un jour pouvoir permettre les vols au long cours, direction la planète rouge.

C’est dans cette optique que Sarah Baatout a pris la route de l’Antarctique. Pour effectuer des tests biologiques sur une vingtaine d’occupants de la station, mais aussi noter, au jour le jour, les conditions de vie dans lesquelles ces examens sanguins et autres furent réalisés. Durant ce séjour, elle a goûté aux paysages somptueux de ce continent presque inhabité, vécu les caprices de la météo, profité du soleil de minuit et même exercé son sport : le patinage synchronisé! Une parenthèse au pays blanc que cette personnalité solaire nous a relatée avec l’envie claire de faire aimer les sciences et de nous pousser à rêver, un peu, beaucoup, passionnément.

La biologiste Sarah Baatout nous raconte son aventure en Antarctique
© ISTOCKPHOTO

Quel était le but de ce voyage en fin de compte?

Cette expédition est en rapport direct avec la recherche spatiale car l’Antarctique est l’environnement le plus extrême sur Terre et celui qui s’apparente le plus à l’espace. D’abord, ceux qui se trouvent dans une station polaire sont isolés, tout comme les astronautes. L’un et l’autre subissent par ailleurs des troubles du sommeil. Lorsque je suis partie, c’était l’été là-bas et il y avait de la lumière 24 heures sur 24. Cela a un impact sur la production d’hormones. Et puis, en Antarctique, le système immunitaire s’affaiblit car on est confronté à une combinaison de stress : d’ordre psychologique – on est loin de ses proches -, social – on n’a quasi plus de vie privée – et physique – les températures, les vents, les dangers aussi… Parfois, la concentration de flocons balayés par le vent est telle, qu’on ne distingue même pas sa main. On risque de mourir à un mètre ou deux du camp… Enfin, je vois un dernier point commun : dans ces deux lieux, il y a une réelle entraide entre les gens, face aux problèmes qui surviennent. Pendant mon séjour, on a tous passé une journée à déneiger le site à la pelle, c’était vital.

« Atterrir sur ce continent se fait comme dans du coton », raconte la biologiste.© DR

Mais en tant que biologiste, que faisiez-vous là concrètement?

Je travaille sur le corps humain et l’impact des conditions extrêmes sur celui-ci. On pense d’abord à la peau qui se craquelle ou à l’odorat qui disparaît complètement là-bas… Mais il y a aussi des tas de facteurs internes qui évoluent dans ces circonstances. Concrètement, ma journée commençait relativement tôt car le personnel se levait à 5 ou 6 heures et les premières analyses devaient être réalisées à jeun. Le sang, la salive du matin et l’urine contiennent des marqueurs qui donnent une idée du stress général. En parallèle, on a également testé vingt médicaments typiques que les astronautes utilisent (antinausée, antibiotique, antidouleur).

On a placé des échantillons sur le toit de la station ; ils étaient donc exposés aux UV 24 heures sur 24 afin de comprendre comment ils se détériorent, face au rayonnement solaire… ou cosmique. De manière intrigante, les médicaments pris dans l’espace ne fonctionnent pas de la même manière et, comme on prépare les voyages vers Mars, il faut être sûr de pouvoir proposer des traitements en cas de besoin. Enfin, tous les jours, nous avions des contacts avec des écoles, par Skype. Il fallait pour cela négocier le Wi-Fi car il y a une seule connexion et quand nous étions en communication avec la Belgique, rien d’autre ne pouvait se passer.

Comment est née l’idée de cette mission?

La biologiste Sarah Baatout nous raconte son aventure en Antarctique
© DR

Depuis 2011, le Centre effectue des études sur la station polaire franco-italienne Concordia. Mais nous n’étions jamais allés sur place. On postulait depuis longtemps pour la station polaire Princesse Elisabeth et l’opportunité de partir s’est présentée, ce qui est intéressant car j’ai vraiment pu ressentir les choses moi-même pour voir dans quelles circonstances étaient faits tous ces prélèvements. Pendant des mois, on a préparé ce départ. On a essayé de miniaturiser au maximum les instruments et les produits envoyés à destination car chaque kilo coûte une fortune à expédier.

Dans quel état d’esprit étiez-vous juste avant le départ?

J’avais une appréhension pour ma famille ; mes deux enfants ont 17 et 14 ans mais malgré tout… Par contre, j’étais personnellement confiante. Il faut dire que j’étais déjà partie avec Médecins Sans Frontières, dans des endroits lointains et difficiles d’accès, comme au Mozambique et au Kazakhstan.

Quelle fut votre première impression en arrivant?

C’était incroyable! Quand on débarque, tout est nouveau. Chaque seconde… D’abord, de l’avion, on voit la banquise, les premiers icebergs. Ensuite, on atterrit comme dans du coton, plus en douceur que n’importe quel vol. Sur place, le plus extraordinaire, c’est cette chaleur entre les personnes. Les gens qui travaillent là sont en excellente condition physique, mais ils ont surtout développé un humour fantastique car je pense qu’il faut recourir à cela pour survivre. Dans la station, on rit beaucoup et comme on n’a pas de Wi-Fi, on n’est pas toujours sur son téléphone. On sociabilise, on parle, on joue aux dés, on regarde des comédies… Des choses qu’on ne fait plus beaucoup et qui permettent de construire des relations humaines profondes.

Avec Alain Hubert, le Belge qui a initié ce projet de station polaire noir-jaune-rouge.
Avec Alain Hubert, le Belge qui a initié ce projet de station polaire noir-jaune-rouge.© DR

La station Princesse Elisabeth est particulière…

Côté architecture, c’est unique. Les autres bâtiments du genre se limitent à des containers entassés les uns sur les autres, alors que celui-ci ressemble à une véritable navette spatiale. On a la réputation de la plus belle infrastructure de l’Antarctique. Et c’est la seule qui est vraiment zéro émission. Elle utilise des éoliennes, 200 panneaux solaires… On dépend donc des conditions météo. Ça permet de comprendre à quel point nous utilisons trop d’énergie et d’eau chez nous. Là-bas, dans la douche, il y avait un push qui libérait à chaque fois 1,5 litre et on essayait de se laver avec 2 pressions seulement. Depuis mon retour, j’ai changé beaucoup de choses…

Avez-vous ressenti la solitude?

Un seul jour. C’était après le Nouvel An et pendant quelques jours je n’avais pas eu de contact avec les écoles qui étaient, pour moi, le lien avec l’extérieur. Là, je me suis sentie seule. Je l’ai noté pour mes analyses!

Quel est votre plus beau souvenir?

Sans hésiter la chaleur de la fête du Nouvel An. Les équipes travaillent très dur, de 7 heures du matin à 8 heures du soir, parfois plus. En revanche, du samedi soir au dimanche soir, c’est le week-end, et comme on n’a que 24 heures, on en profite encore plus. C’était le cas le jour de l’An, il y avait une ambiance du tonnerre. On a besoin de ces moments de repères pour vivre. On a aussi célébré la Noël, l’Epiphanie…

La scientifique a même pu exercer là-bas ses talents de patineuse artistique.
La scientifique a même pu exercer là-bas ses talents de patineuse artistique.© DR

Et la pire galère?

Le plus difficile, c’est l’incertitude quant au moment où l’on va rentrer au pays car tout dépend des conditions climatiques. Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas quand j’allais repartir. Et encore, ce n’était que la première étape, de la station Princesse Elisabeth jusqu’à la station russe. Là, tout est à nouveau possible. On peut y rester bloqué trois jours, une semaine ou même plus. Pour les proches, c’est problématique.

Aviez-vous des contacts avec eux?

J’ai pu leur parler trois fois. On est bien briefé avant de partir pour ne pas imaginer qu’on va se skyper chaque jour. Il faut se préparer à avoir des contacts limités, ce qui, à l’heure actuelle, est difficile à admettre. Mais cela change les rapports : mon fils n’est pas des plus bavards au téléphone, mais il était très tendre et n’arrêtait pas de papoter, c’était extraordinaire.

Vous aimeriez aller dans l’espace?

Oui, beaucoup! On va soumettre une expérience pour faire un vol parabolique. C’est un vol sur Terre mais où l’on est dans des conditions d’apesanteur pendant trente paraboles, à chaque fois pendant une minute ou deux donc. L’idée, c’est de reproduire les expériences réalisées au pôle dans ces conditions. C’est une nouvelle étape avant Mars.

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