Paris: le graffiti s’empare de la Tour 13 avant sa démolition (vidéo)

© capture d'écran YouTube

Avant démolition du bâtiment, la plus grande exposition collective d’artistes de rue au monde se tiendra du 1er au 31 octobre, dans la Tour 13 (Paris, XIIIe arrondissement). Tour du propriétaire, à quelques jours de l’ouverture au public.

Tour Paris 13, 1-5, rue Fulton, Paris (XIIIe), du 1er au 31 octobre.

www.tourparis13.fr

Au troisième étage, le deux-pièces cuisine est resté dans son jus. Sur une étagère, une édition de Politique, de François Mitterrand, publiée en 1977, et un pack de Schweppes Indian Tonic d’un autre siècle témoignent d’une ancienne présence humaine. Le papier peint de la chambre, d’une couleur pisseuse, semble aussi vieux que l’immeuble, construit en 1950.

Au milieu de ce spectacle déprimant, des cordes tendues dessinent les arêtes d’un diamant en trois dimensions. Un tricycle géant fabriqué avec les lattes du parquet trône dans le salon. Une dame contemple l’installation signée Hopnn, un artiste russe. « J’habite la résidence d’en face, dit-elle. Depuis six mois, je vois entrer un tas de jeunes artistes. Il paraît que dans quarante ans on pourra tirer une certaine gloire de ce qui se passe ici, alors je suis venue jeter un coup d’oeil. » Les personnages grotesques peints dans la cuisine la laissent plutôt perplexe: « Qu’est-ce qu’ils ont voulu faire? Ils sont très perturbés, ces gens-là. » Par la fenêtre, elle regarde la Seine et le paquebot du ministère des Finances. « Ils avaient une belle vue, ici. On appelait cette tour la « résidence des cheminots ». Elle accueillait les employés de la SNCF. »

De l’art sur 4 500 mètres carrés

Dans La Vie mode d’emploi, Georges Perec raconte en plus de 600 pages le destin d’un immeuble et la comédie humaine de ses occupants. L’entreprise de Mehdi Ben Cheikh, 38 ans, est aussi folle que celle de l’écrivain. Le patron de la galerie Itinerrance, dans le XIIIe arrondissement parisien, a jeté son dévolu sur les neuf étages du 1-5, rue Fulton, à Paris. Son objectif: transformer le bâtiment en manifeste du street art. Bienvenue dans la « tour Paris 13 ».

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Shoof, 7e étage.
Note pour la prochaine révolution: si vous n’avez pas de guillotine sous la main, un morceau de lavabo peut parfaitement faire l’affaire; pas la peine d’aiguiser la vasque, il suffit de la briser accidentellement, lors d’un déménagement, par exemple. Les orteils de l’artiste franco-tunisien Shoof peuvent en témoigner. Malgré ses neuf points de suture et son pied enveloppé dans une épaisse chaussette, il disserte sur les mérites de la microcomposition et l’approche fractale de l’art urbain. A défaut de tout comprendre, on admire le résultat: un portrait de Jimi Hendrix réalisé sur une couche de calligraphie arabe. Après les murs et les vitres, Shoof se concentre désormais sur le plancher. Il lui reste cinq jours pour finir.

Mehdi, escalier
Le fondateur de la galerie Itinerrance fait le yoyo dans les étages, portable greffé à l’oreille. Sa force de persuasion et son charme ont déjà changé le XIIIe arrondissement en musée d’art urbain à ciel ouvert. « La tour devait disparaître pour être reconstruite, j’ai demandé au bailleur, ICF Habitat la Sablière, l’autorisation d’intervenir sur la façade, raconte-t-il. D’où ces immenses gouttes orange qui dégoulinent du toit. Et puis j’ai eu l’envie d’attaquer l’intérieur. » Voilà comment est née la plus grande exposition collective de street art jamais réalisée: 4 500 mètres carrés ouverts au public du 1er au 31 octobre, à raison de 49 personnes par visite. « J’ai dit aux artistes de jouer avec l’espace pour créer un univers. Et je leur ai laissé carte blanche. Libre à eux d’abattre des cloisons, de décoller le plancher, ou de réutiliser le mobilier… » Selon les pièces, le cahier des charges est plus ou moins bien rempli. Au neuvième, le Français Sean a creusé une grotte. Au cinquième, l’Italien Mateo Garcia Leon fait pousser des tuyaux dans la salle de bains. Mais ce n’est rien à côté de l’ambiance fin du monde de l’appartement du quatrième. Là, les lapins du Portugais Pantonio s’échappent de la chambre à coucher pour se reproduire sur les murs extérieurs, où ils tombent museau à museau avec l’une des étranges créatures du Parisien Ludo. Toute une faune campe au 1-5, rue Fulton. Au détour d’une cloison, on croise aussi Rimbaud, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Marilyn Manson, Blaise Pascal et des supporters du PSG.

Gaël, 5e étage Chaque palier donne sur quatre appartements fermés par de lourdes portes métalliques antisquat. Des cartons de déménagement traînent ici et là. Au début de septembre, sur la trentaine de logements, cinq étaient encore occupés. Des retraités pour la plupart. Au 951, Gaël Lefeuvre, 24 ans, n’est pas un locataire comme les autres. Depuis janvier dernier, ce Breton est le gardien des clefs. Les artistes le surnomment « saint Pierre ». Il les héberge parfois chez lui au milieu d’un fatras de toiles et de pinceaux. « Je dispose gratuitement d’un atelier dans ce lieu devenu une formidable école d’art », explique le jeune homme. Ses chaussures constellées façon Jackson Pollock sont déjà une oeuvre en soi.

Inti et Nano, 6e étage
Dans l’ancienne salle de bains, le Chilien Hernan, dit Nano, s’applique sur un visage aux reflets argentés. A côté, son compatriote Inti Castro peaufine des toiles pour sa prochaine exposition parisienne avant de partir le lendemain pour Lodz, en Pologne, où l’attend la réalisation d’une fresque de 12 étages. « Le public va pouvoir constater que le street art ne se résume pas à un seul style », se réjouit-il. En quelques mois et dans le secret, la tour est devenue l’une des plaques tournantes de l’art de rue. Arabes, Portugais, Sud-Américains, Italiens, à chacun son étage, sa pièce. En tout, une centaine d’artistes de 16 nationalités ont laissé leur marque dans cette tour de Babel.

Jack, 9e et 7e étages Ordre est donné d’ouvrir toutes les portes. Jack Lang est attendu d’un moment à l’autre pour une visite impromptue. Le président de l’Institut du monde arabe rencontre les trois artistes saoudiens du neuvième. C’est la première fois que le trio quitte Djeddah. Le graffeur franco-tunisien eL Seed a fait le trait d’union entre eux et Mehdi. eL Seed est le premier à avoir marié graff et alphabet arabe. Sur une des façades, son « calligraffiti », de taille XXXXL, adapte ces vers de Baudelaire: « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville/Change plus vite, hélas! que le coeur d’un mortel) ». Toujours dans les bons coups, l’ancien ministre de la Culture enchaîne, ébahi, les visites.

Mehdi, rez-de-chaussée « Quand les artistes interviennent dans la rue, ils le font à leurs frais, sans rien demander, rappelle Mehdi Ben Cheikh. En tant que galeriste d’art urbain, je me dois aussi d’avoir une pratique non commerciale. La tour offre un support de grande ampleur à une pratique, sans dénaturer sa philosophie. » C’est donc lui qui règle la facture, avec une aide de 5 000 euros de la mairie du XIIIe. L’homme y trouve son compte, car la tour Paris 13 est un formidable accélérateur de notoriété. Il a reçu de nombreuses propositions d’entreprises pour des soirées événementielles, mais a tout refusé. « Ce lieu n’est ni un musée, ni une galerie, ni un squat, ni une friche. C’est tout cela à la fois. Ce projet est à l’image du street art: éphémère et gratuit. Il n’y aura pas de boutique de souvenirs. » Mais, s’il n’y a rien à vendre, à partir du 1er novembre, tout doit disparaître.

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