Poelvoorde, Amalric et Canet vus par leur coach de natation synchronisée

© TRÉSOR FILMS / CHI-FOU-MI PRODUCTIONS
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Elle est entraîneur de l’équipe de France de natation synchronisée et a coaché les acteurs du film Le grand bain, en salle le 24 octobre, pour leur apprendre les bases de la discipline. Julie Fabre revient sur cette expérience unique, entre rire, rigueur et émotion. Et sur la place de l’homme dans ce sport réputé féminin.

Pour atteindre le saint des saints, il faut d’abord traverser de bout en bout le site parisien de l’Insep, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, là où de nombreux champions français s’entraînent à longueur d’année pour décrocher des médailles, toutes disciplines confondues ou presque. Un campus à l’américaine, niché dans le bois de Vincennes, avec stade, terrain de football, grandes pelouses et piscines. Celle de 50 mètres pour les courses et, juste à côté, celle dédiée à la natation synchronisée. Ici, tout est pensé pour atteindre l’excellence : miroirs sous-marins comme dans les salles de danse, podium pour répéter les entrées à l’eau, agrès pour parfaire la voltige des portés…

Je trouve que le film reflète ce qui s’est réellement passé pendant tous ces mois de préparation. c’était très humain.

C’est là que nous rencontrons Julie Fabre, entraîneur depuis seize ans de l’équipe de France de ce sport olympique peu médiatisé, et ancienne athlète de haut niveau. C’est aussi là qu’il y a de ça deux ans, une belle brochette de comédiens sans talent inné pour dompter l’élément liquide – Benoît Poelvoorde, Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Philippe Katerine, Jean-Hugues Anglades… – ont joué les sirènes en herbe. Et ce pour les besoins du film Le grand bain, réalisé par Gilles Lellouche et qui conte l’histoire d’un groupe de gars un peu paumés se retrouvant autour d’un défi commun : celui de participer à une compétition de natation synchronisée masculine. Un long-métrage touchant, au scénario un rien attendu qui rappelle les prouesses des strip-teaseurs de The Full Monty (1998), mais qui présente également avec beaucoup de finesse la naissance d’un rêve aquatique, faisant fi des préjugés, sans tomber pour autant dans la caricature.  » Ce sport n’est pas le sujet central du film évidemment, c’est surtout l’histoire de ces hommes qui se fixent un nouveau but dans la vie, résume la coach. Je trouve très actuel de parler de personnes qui sont dans des difficultés privées ou professionnelles et qui se rassemblent autour d’une activité qui va les galvaniser. Le thème est porteur d’espoir.  »

Poelvoorde, Amalric et Canet vus par leur coach de natation synchronisée
© BELGA IMAGE

En short, tee-shirt et tongs, la Française prend avec nous le temps de revenir sur cette aventure hors normes qui la mena à diriger un team de stars du grand écran pour monter une chorégraphie de qualité avec de parfaits débutants… Un petit miracle.

Quand Gilles Lellouche vous a proposé cette mission, vous avez hésité ?

Pas une seule seconde ! J’apprécie beaucoup le cinéma et j’aime les challenges. Pour le coup, c’en était un sacré, d’arriver à quelque chose avec ces personnes qui n’ont aucune compétence de base pour ce sport. C’est une expérience qui se présente une fois dans une vie. Après, c’est sûr, ça m’a demandé pas mal de temps…

Comment s’est passé le premier cours ?

Dès octobre 2016, on a organisé des entraînements toutes les semaines à l’Insep, en fonction de l’emploi du temps de chacun. Seul Benoît Poelvoorde a d’abord travaillé avec ma soeur, Charlotte, qui a également un parcours synchro et habite en Belgique. La première chose a été de les mettre dans l’eau, pour voir ce qu’ils étaient capables de faire. J’ai regardé s’ils savaient nager… et flotter, aussi, car Gilles avait en tête, pour la chorégraphie, un effet de rosace de surface où ils devaient se tenir les mains, allongés en planche, sans couler. Ça avait un sens par rapport à leurs liens dans le scénario. J’ai par ailleurs testé avec eux certains appuis spécifiques – godille pour tenir couché sur le dos, rétropédalage pour soutenir le corps pendant les mouvements de bras… Enfin, il a fallu prévoir un peu de préparation physique pour qu’ils gardent le rythme et bosser les plongeons, avec l’entraîneur de l’équipe de France de cette discipline.

Ils savaient tous nager ?

Tous sauf Thamil (NDLR : Thamilchelvan Balasingham). Il avait carrément peur de l’eau mais c’était un coup de coeur du casting. Il a été courageux car il a dû apprendre les bases de façon intensive, avec un prof particulier. Au début du film, il porte même une bouée…

Vous leur avez ensuite appris le ballet ?

J’ai d’abord monté la chorégraphie finale avec mes nageuses, ce qui a permis à Gilles de donner un retour sur ce qu’il aimait ou pas, d’imaginer ses plans, et d’adapter la trame avant de l’enseigner aux acteurs… Après, on a beaucoup répété hors de l’eau pour tous les mouvements de bras, pour que ce soit synchronisé, pour qu’ils soient bien placés les uns par rapport aux autres.

Avaient-ils un a priori sur ce sport ?

Ils auraient pu se dire  » c’est un truc de filles « , mais pas du tout. Vu que la musique était dynamique, les gestes adaptés, que l’idée était que ce ne soit pas ridicule, qu’on soit dans quelque chose de crédible, fait par des hommes, ils se sont bien emparés du challenge. Et ils n’imaginaient pas qu’ils seraient capables de faire tout ça. Le jour où je leur ai montré la chorégraphie réalisée par l’équipe de France, ils se sont dit :  » Oula ! Ça va être compliqué.  » Et puis, ils se sont vus progresser. Ils se sont mis à y croire et au bout de l’aventure, ça donnait l’impression qu’ils préparaient une vraie compétition, qu’ils voulaient performer.

Y avaient-ils des doublures ?

Oui, on a fait venir les meilleurs nageurs synchro du monde – Stéphane Miermont, Anton Timoyev… – pour réaliser les éléments de jambes et les vrilles, car il faut des années pour maîtriser ces mouvements. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut enseigner sur un temps très court. Pour l’esthétique, il fallait des jambes  » synchro « , avec pointes et extension.

S’il ne fallait retenir qu’un moment…

Il y a une scène, au début, alors qu’ils commencent à peine à s’initier, où ils font un gala et sont censés être très mauvais. On a monté ça rapidement. Les gestes étaient simples mais ils n’avaient pas pied… A la fin de la prestation, le public de figurants les a ovationnés alors que ce n’était pas prévu dans le scénario. Pour les comédiens, c’est comme si c’était réel ; ils étaient contents d’eux. Ça m’a touchée, une équipe était née. Je trouve que le film reflète un peu ce qui s’est réellement passé pendant tous ces mois de préparation. Il y avait une belle énergie sur le plateau, c’était très humain ; il y avait une vraie humanité de la part de Gilles. Je pense que c’est pour cela aussi que la sauce a pris.

L’idée était vraiment que ce ne soit pas ridicule, qu’on soit dans quelque chose de crédible, fait par des hommes.

Y avait-il un meilleur élève ?

Chacun était motivé à sa manière… Evidemment, Guillaume Canet, qui est très sportif, intégrait plus vite les mouvements car il avait une conscience de son corps plus développée. Il a travaillé la voltige car c’est lui qui monte sur les portés, qui ne sont pas doublés. Il devait être capable de faire un salto, notamment. Sinon, Felix Moati, lui, angoissait un peu d’aller sous l’eau, l’apnée le stressait. Mais il a toujours fait ce qu’il avait à faire. On avait Jean-Hugues Anglade qui était un super plongeur. Globalement, tous ont fait preuve de beaucoup de volonté. Au début, je leur montrais sur tablette chacun de leurs passages, pour les corriger, et il y en avait toujours un qui n’était pas concentré. Au fur et à mesure des semaines, ils venaient tout de suite voir la vidéo, ils faisaient des commentaires –  » Oh non j’ai raté ça.  » Et je percevais sur leurs visages qu’ils étaient trop fiers.

Gilles Lellouche entouré des trois filles du film, Marina Foïs, qui joue la femme d'un des nageurs, et les coachs, Leila Bekhti et Virginie Efira.
Gilles Lellouche entouré des trois filles du film, Marina Foïs, qui joue la femme d’un des nageurs, et les coachs, Leila Bekhti et Virginie Efira.© BELGA IMAGE

Etiez-vous aussi sévère qu’avec l’équipe de France féminine ?

Non, j’étais très, très loin de l’attitude que je peux avoir avec mes athlètes. Il y a des boute-en-train dans cette équipe et il y a des moments où c’était difficile de garder son sérieux. Mais j’avais envie d’arriver à un bon résultat et je durcissais parfois le ton car j’avais un objectif à atteindre et pas de temps à perdre.

Vous reconnaissez-vous dans le jeu de Leila Bekhti et Virginie Efira qui interprètent les coachs ?

Elles sont venues assister à des entraînements pour voir les gestes, les mots, les attitudes à avoir. Et en effet, je retrouve un peu de moi à l’écran… même si leurs personnages sont bien sûr typés.

Racontez-nous le tournage de la scène finale, celle du championnat du monde…

Ça faisait déjà trois mois qu’ils étaient sur ce film et les séquences étaient réalisées de nuit, cinq au total, dans une piscine olympique. Les acteurs étaient fatigués, devaient se plonger dans l’eau à une heure où personne n’a envie de nager, et pourtant, c’est à ce moment-là qu’ils devaient maîtriser les choses les plus difficiles. Mais je ne les ai jamais vus râler. Parfois, les gradins étaient pleins de figurants. Ça donnait une ambiance réelle, on avait l’impression d’y être pour de vrai. Et que j’étais leur coach.

La natation artistique, comme on l’appelle depuis 2018, est un sport plutôt féminin. Seuls les duos mixtes sont reconnus à l’international…

La place de l’homme est en train de se développer mais il n’y a pas encore assez de pratiquants pour pouvoir en faire quelque chose de significatif. En France, cependant, davantage de petits garçons s’y mettent désormais. Il faut passer le cap, ce n’est pas évident. L’étirement est moins inné chez l’homme, il y a plus de muscles, c’est plus dense, mais globalement l’apprentissage est le même. Je pense que ce film peut aider à promouvoir ce sport au masculin ; ça en donne une autre image.

Est-ce une évolution positive pour la mixité du sport en général ?

On est en effet à une époque où la mixité est un enjeu majeur, au centre de l’organisation de notre société. Beaucoup de disciplines sportives ont développé des épreuves mixtes… et cela prend tout son sens dans notre sport. Montrer une pratique mixte ouvre aussi le champ artistique puisque le couple offre une exploitation chorégraphique intéressante. Il est envisageable que l’épreuve du duo mixte voit le jour aux jeux Olympiques de 2024…

Un sport de fille ?  » Une légende urbaine  »

Le Belge Renaud Barral, 30 ans, pratique la natation synchronisée depuis qu’il est petit. En 2017, il a été sacré champion du monde en duo mixte, catégorie masters. Sa vision de la discipline, version mecs.

 » J’ai commencé la natation synchronisée à 12 ans et il est vrai qu’au début, je n’ai pas toujours été accueilli à bras ouverts… Cela dit, la place de l’homme dans ce sport évolue bien. Depuis les Championnats du monde 2017, il y a un engouement artistique pour les duos mixtes ( NDLR : seule épreuve pour les hommes reconnue par la Fédération internationale de natation à ce jour). Certains veulent déjà en faire une épreuve olympique mais il faut laisser mûrir les choses, je pense. Une compétition uniquement pour les hommes comme dans le film ? Pourquoi pas mais ce n’est pas pour tout de suite. La synchro est une discipline jeune, qui doit encore évoluer. Et puis, elle souffre d’un grand manque de médiatisation.

Par contre, dire que c’est moins adapté aux hommes est une légende urbaine. Les danseurs et patineurs sont capables d’être gracieux et souples, ce n’est pas un frein pour les nageurs donc. Si c’est un acte engagé pour l’égalité des sexes de pratiquer un tel sport quand on est un garçon ? Je répondrais oui, même si je l’ai d’abord fait par passion, sans me poser ces questions. Aujourd’hui, si on me demandait de porter le drapeau de militant, je ne serais pas contre. Je suis fier de dire que je fais  » un sport de fille « , comme il est catalogué, qui est bien plus difficile que d’autres  » sports de mecs « .  »

Poelvoorde, Amalric et Canet vus par leur coach de natation synchronisée
© TRÉSOR FILMS / CHI-FOU-MI PRODUCTIONS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content