Quand les marques Enfant habillent la Femme

© Arsène et les pipelettes
Catherine Pleeck

Non contentes d’habiller garçons et fillettes, de plus en plus de marques Enfant explorent désormais le segment de la Femme. Une nouvelle partition sur un même thème.

Non, une marque pour Enfant ne doit pas se cantonner aux plaines de jeux, aux cours de récré et aux cabanes dans les bois. Ces dernières saisons, de plus en plus de labels, initialement dédiés à l’univers de la mode enfantine, proposent désormais un vestiaire Femme. Ainsi, Bonton, Tape à l’oeil ou Louis Louise ont initié l’expérience pour l’été 18 avec une collection capsule. Et Bonpoint se lance dans l’aventure pour cet hiver.

 » Sur les deux dernières années, le nombre de griffes qui conçoivent également des lignes taille adulte a doublé : elles représentent désormais 6 ou 7 % des acteurs présents sur les salons Playtime. C’est une véritable tendance, confirme Chantal Danguillaume, directrice commerciale de ces rendez-vous de la mode et de la déco version kids. Pour la plupart, ce sont les demandes répétées de l’entourage et des clientes qui les ont convaincus de sauter le pas.  » Nous avons cédé à la pression « , plaisante Delphine Papiernik, créatrice d’Emile et Ida, qui s’est ouverte à la Femme il y a maintenant deux ans. Une histoire d’épanouissement aussi :  » Cela nous a permis de nous faire plaisir et de laisser filer notre créativité, sans frein « , poursuit-elle. Un point de vue entièrement partagé par Julie Meiler et Carine Enthoven, fondatrices de Louis Louise :  » L’envie d’imaginer notre vestiaire, avec les pièces que nous adorerions porter : des robes bohèmes, de longs jupons, des chemises rétro…  »

Augmenter les performances commerciales, en générant une dynamique familiale positive.

Mais l’engouement pour ces lignes réservées aux dames a une explication plus pragmatique :  » Il s’agit d’une extension stratégique logique pour ces compagnies, qui ne peuvent pas croître sur le seul segment Enfant « , explique Frédéric Godart, sociologue et professeur assistant à la business school INSEAD. L’objectif est d’augmenter les performances commerciales, en générant une dynamique familiale positive à travers une identité commune.  »

Louis Louise :
Louis Louise :  » L’envie d’imaginer notre vestiaire, avec les pièces que nous adorerions porter. « © SDP

Prolonger le lien

Pour ces marques, qui existent généralement depuis une petite dizaine d’années, le challenge est tentant, et ce d’autant plus qu’elles sont confrontées à un turnover naturel de leur public.  » Le cycle de vie fait qu’une fois que les mômes grandissent, vous perdez vos clients, constate la directrice commerciale de Playtime. Avoir des vêtements Femme permet de les fidéliser sur le long terme.  »

La démarche est cependant différente de celle qui a prévalu à l’apparition des  » mini me « , il y a dix ans environ, lorsque des labels pour adultes se sont mis à créer des collections juniors.  » A l’époque, ce phénomène plaçait l’enfant statique dans un rôle d’accessoire, une sorte de faire-valoir, résume à gros traits Tiphaine Macrez, directrice de Kidding, un bureau de presse parisien exclusivement dédié à l’univers des petits. Ce qui est inédit aujourd’hui, c’est que l’on part de plus en plus souvent de la jeune génération pour habiller la maman. Le bambin n’est plus l’accessoire, mais il est bien au coeur de la famille et de ses préoccupations.  »

La tendance est d’ailleurs à l’abolition des frontières entre les générations.  » Le design et la mode Enfant ne sont plus à part, sans contact avec le monde des adultes, se réjouit Cécile Roederer, créatrice du concept store en ligne Smallable, qui s’adresse à toute la famille depuis 2016. Les petits inspirent les grands, l’inverse est aussi valable, et c’est très bien. Les marques peuvent donc imaginer quelque chose de nouveau et aller au-delà des conventions.  »

Décloisonner les secteurs, mixer les grandes tailles et les minis, ce n’est pas autre chose qu’est en train de faire la boutique bruxelloise Boucle d’Or.  » Pour cet hiver, j’ai des étoles en cachemire, des chaussons d’intérieur, des leggings en velours et des pulls en mohair pour les femmes « , énumère sa responsable Sabrina Palmisano. Outre une envie plus personnelle de me confronter à autre chose après seize ans d’existence, cela répond aussi à la demande de ma clientèle, qui désirait profiter de ma sélection et de mes associations de couleurs et de matières.  » Et si une même destination permet de combler à la fois les envies des grandes et des petits, c’est encore plus pratique…

Référence dans la mode enfantine, Bonpoint se lance dans la Femme cet hiver.
Référence dans la mode enfantine, Bonpoint se lance dans la Femme cet hiver.© SDP

Fans de la première heure

Logiquement, ce sont les acheteuses fidèles qui ont le plus rapidement adhéré au principe de cette montée en taille.  » Il s’agit souvent de la déclinaison d’un même concept. On garde l’ADN de la marque. Si elle cultive un esprit romantique ou rock, on va le retrouver dans son adaptation adulte « , analyse la directrice de Playtime, tandis que Chloé de Bailliencourt, créatrice d’Arsène et les Pipelettes, poursuit :  » En choisissant des pièces pour leur progéniture, elles étaient déjà séduites par les textures, par la douceur des matières et l’harmonie des couleurs. Nous n’habillons pas nos bambins comme nous, mais bien dans la même énergie. Il était donc naturel qu’elles s’y retrouvent elles-mêmes.  »

Le fait que ces labels Kids prêtent particulièrement attention aux critères éco-responsables – une philosophie moins répandue chez l’adulte – entre également en ligne de compte dans le succès de ces initiatives.  » Nous découvrons des mamans fidèles qui ont compris le sens de ce que nous faisons : de la conception, de la production artisanale, du coton biologique… Elles sentent qu’il y a toujours beaucoup d’amour dans ce que nous proposons « , applaudit Poupy Sfez, co-créatrice de Numéro 74.  » La clientèle souhaite avant tout des produits de grande qualité, fabriqués en petite quantité, en France et en Italie « , constate quant à elle Nathalie Scemama, derrière la griffe Gabriel & Valentin.

Le bambin n’est plus l’accessoire, mais il est bien au coeur de la famille et de ses préoccupations.

Mais il ne suffit pas de décliner simplement la recette en format XXL pour rencontrer le succès. Si les matières et les couleurs peuvent être reproduites à l’identique, il n’en est pas de même des formes et des coupes, qui doivent être pensées pour la morphologie de la femme.  » Nous avons commencé en proposant une sélection de pièces Enfant que nous rêvions de porter. Mais maintenant, nous dessinons une collection en parallèle et adaptons un peu les modèles « , raconte Adriana Esperalba, créatrice de Bobo Choses. Vendue au départ uniquement sur son e-shop, cette gamme n’a fait que s’étoffer au fil des saisons. Elle sera enfin disponible dans une série de concept stores, dès l’été prochain.  » Nous voulons nous adresser à toute la famille « , poursuit l’Espagnole, surprise de voir que beaucoup d’amatrices de ce vestiaire n’ont pas d’enfants.  » Elles aiment simplement notre univers.  »

Emile et Ida:
Emile et Ida:  » Cela nous a permis de laisser filer notre créativité, sans frein. « © SDP

Autres défis notables ? Les circuits de distribution sont différents, tandis que la concurrence est plus rude au rayon Dames.  » Nous procédons étape par étape, confie Chloé de Bailliencourt, qui vient d’ouvrir sa première boutique Arsène et les Pipelettes en Belgique, dans le quartier du Châtelain, à Bruxelles. Proposer cette ligne Femme à d’autres magasins que les nôtres sera l’un des prochains défis. Cela en vaut la peine, car ce marché est nettement plus grand que celui de l’Enfant.  »

Pour toutes ces marques, ces premiers essais sont en tout cas pleinement positifs, avec un résultat en croissance constante. Leur ligne réservée aux adultes représente ainsi entre 15 et 50 % de leur chiffre d’affaires. De quoi donner envie, à plusieurs d’entre elles, d’y accorder davantage d’attention, encore durant les prochaines saisons…

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