Un bar-truck en remplacement des bistrots traditionnels, en voie de disparition

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« Maintenant, on se connaît mieux »: pour recréer du lien social autour d’un verre ou d’un café, un camion vintage transformé en bar sillonne la campagne française où les traditionnels troquets se font de plus en plus rares.

Avec sa camionnette Renault à la carrosserie imitation rouille, Sébastien Cherrier, ancien éducateur de 44 ans reconverti en brocanteur, est venu s’installer sur la place de Villequiers, un village de 483 habitants du centre de la France.

En ce vendredi soir frisquet, une quinzaine de personnes se sont déplacées: des retraités, des trentenaires avec enfants. Derrière le camion, trois tables de jardin rouge et vertes ont été disposées, ainsi qu’un barnum pour protéger de la pluie.

« Le dernier café a fermé il y a un plus d’un an alors qu’il y en avait encore quatre en 1985 », rapporte le maire du village Pascal Méreau. « Nous n’avons plus qu’un seul commerce qui fait épicerie, bar et chambre d’hôte », regrette l’élu, qui enseigne à l’école du village.

Cette désertification des campagnes françaises, qui ont vu peu à peu disparaître petits commerces, médecins ou services publics au fil de l’exode rural a alimenté un sentiment d’abandon exprimé avec virulence par la révolte des « Gilets jaunes ». Ces Français modestes ont multiplié blocages et manifestations depuis la mi-novembre pour rejeter la politique sociale et fiscale du président Emmanuel Macron.

Les incontournables « bistrots », où l’on se retrouvait pour discuter autour d’un verre ou disputer une partie de belote, en ont fait les frais. De 200.000 en 1960, le nombre de cafés est tombé à seulement 36.000 en 2015, et les fermetures se sont concentrées sur les zones rurales, selon un rapport publié en 2017 par l’organisme France Boissons et le centre de recherche sur la consommation CREDOC.

« Les bistrots d’autrefois permettaient de se rencontrer. Il a fallu que je vienne au +bar truck+ pour vraiment faire connaissance avec mes voisins », a témoigné Olivier, un artisan d’une cinquantaine d’années à Villequiers. « Jusqu’alors, c’était juste +bonjour, bonsoir+. Maintenant, on se connaît mieux ».

« Tous fermés »

Chaque soir de la semaine, le bar-truck, dénommé « C’est l’occaz », stationne dans un village différent: le lundi Précy, 350 habitants, le mardi, Azy, 450 habitants, le mercredi, Rians, 1.000 habitants, le jeudi Etréchy, 450 habitants… Les lieux sont annoncés sur une page Facebook dédiée où Sébastien Cherrier poste bon nombre de photos et recense les reportages que les médias lui ont consacrés, y compris la BBC.

A l’intérieur du véhicule, deux frigos pour tenir au frais les boissons. Vin, bière, sodas, eau, ainsi que thé et café… Le choix est présenté sur des cadres installés sur les portes arrière ouvertes du véhicule. Le bar, offert par un ébéniste, a été confectionné dans du chêne. Une cassette audio posée sur le comptoir sert de supports à sucettes.

L’air jovial, le bistrotier à l’allure de biker, crâne rasé, longue barbe et boucle d’oreille, se positionne comme un défenseur de la ruralité.

« Cela faisait longtemps que l’idée me trottait dans la tête », raconte le quadragénaire, qui a ouvert « C’est l’occaz » en plein hiver, il y a quelques semaines. « En tant que brocanteur, je traverse beaucoup de villages aux alentours de Sancerre et je suis atterré par le nombre de commerces qui ont baissé le rideau, en particulier les bistrots, où l’on pouvait encore s’arrêter il y a une trentaine d’années, se souvient-il.

« Maintenant, c’est fini, ils sont tous fermés. Les gens sont scotchés devant la télé, sur leurs tablettes et leurs téléphones portables. Il n’y plus d’échanges, c’est dramatique ».

La fronde des « Gilets jaunes », émaillée d’affrontements parfois violents et de déprédations ces derniers mois, ne l’a pas vraiment surpris.

« Il ne faut pas s’étonner que ça aille mal. Nous n’avons plus d’endroits pour parler le soir après une journée de travail », regrette le patron.

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