Où fait-on le meilleur couscous ?

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Quels ingrédients sont légitimes, lesquels sont apocryphes ? Maroc, Algérie, Tunisie… Les pays du Maghreb ont tous leur idée et revendiquent le savoureux plat, y compris sur les réseaux sociaux.

Un plat de couscous pourrait-il adoucir les relations diplomatiques compliquées entre pays d’Afrique du Nord ? Un projet commun d’inscription du plat emblématique de la région à l’Unesco pourrait au moins amorcer un réchauffement.

Où fait-on le meilleur couscous ? Quels ingrédients sont légitimes, lesquels sont apocryphes ? Maroc, Algérie, Tunisie… Les pays du Maghreb ont tous leur idée et revendiquent le savoureux plat, y compris sur les réseaux sociaux.

Voulant sans doute éviter un psychodrame comme celui de la « guerre du houmous » entre le Liban et Israël, qui se disputent la paternité de la purée de pois chiches, plusieurs experts des pays du Maghreb doivent débattre d’une éventuelle demande commune d’inscription du couscous au patrimoine immatériel de l’humanité.

Slimane Hachi, directeur du Centre algérien de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) et promoteur du projet, a précisé à la radio algérienne que l’initiative devrait réunir Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie et même Mali, sans donner de date ni de lieu.

Une démarche à l’issue incertaine mais qui a plus de chance d’aboutir qu’une tentative unilatérale: en 2016, l’Algérie avait suscité un tollé au Maroc, son voisin et rival, en voulant la jouer solo à l’Unesco.

C’est que le couscous n’appartient à aucun des pays du Maghreb en particulier, soulignent experts et gastronomes.

« Le couscous a une origine berbère, bien avant que les pays du Maghreb tels qu’on les connaît aujourd’hui n’existent », explique l’historien français des pratiques culinaires et alimentaires, Patrick Rambourg.

« Il remonte incontestablement aux Berbères, même si l’histoire commence avec les Romains, venus avec du blé », abonde l’anthropologue, gastronome et restauratrice à Paris Fatema Hal, né à Oudja (Maroc).

Néanmoins, même l’origine de l’introduction du blé ne fait pas l’unanimité, certains évoquant un apport arabe.

Souvent citée, l’historienne culinaire Lucie Bolens avait décrit des pots primitifs de couscous retrouvés en Algérie, remontant au règne du roi Massinissa (202-148 av. JC), Berbère qui unifia la Numidie (nord de l’Algérie et des portions de la Tunisie et de la Libye).

« La paternité est un sujet compliqué, un terrain glissant. Et est-ce si important ? », interroge Patrick Rambourg qui préfère mettre l’accent sur l’emblème que sont devenus cette semoule de blé dur et le plat éponyme, pour toute la région.

« Il y a des plats et des denrées +totems+: le pain en France, le couscous au Maghreb. (…) La cuisine fait partie de l’identité de tous les peuples, la manière de cuisiner, de servir les plats, révèle ce que l’on est. Pour les pays du Maghreb, le couscous représente une part de leur identité », explique-t-il.

Pour autant, « ça ne va pas être simple : il va falloir qu’ils se mettent d’accord entre eux ».

– Echec de l’intégration régionale –

Pour une labellisation, « il faut montrer la permanence historique du plat ou de la pratique, montrer qu’elle s’inscrit dans le quotidien de tous les groupes constituant un peuple ou une Nation, que cela fait partie de leur identité, de leur culture ». Et ne pas mettre trop tôt en avant l’immense diversité des couscous.

Facile ? « Il y a des positions si figées de part et d’autre qu’il est très compliqué de trouver des terrains d’entente, même sur un sujet qui peut paraître anodin et devrait permettre de trouver des points de rapprochement », regrette Kader Abderrahim, chercheur français à l’Institut Prospective & Sécurité en Europe.

« Il y a tellement d’antagonismes accumulés depuis 50 ans et cela s’est beaucoup dégradé, surtout ces derniers mois », ajoute-t-il. Le chercheur rappelle « les rivalités essentiellement entre l’Algérie et le Maroc », nées aux lendemain de l’indépendance de l’Algérie, face au refus des nouvelles autorités de ce pays de reconsidérer les frontières établies sous la colonisation française, alors que le Maroc revendiquait des villes ou portions de territoire.

Et de ces divisions est né un paradoxe « incompréhensible »: malgré « une culture commune, une histoire en partie commune, une même langue, une tradition religieuse » le Maghreb « n’a pas réussi son intégration régionale ».

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Or, « le Maghreb, c’est plus fort que l’Europe, divisée par la langue et par l’histoire, que l’Amérique du sud, divisée aussi par l’histoire et par les langues », pointe M. Abderrahim.

« Si le couscous peut contribuer à réunir, tant mieux ! Mais plutôt que de mettre toute son énergie pour un titre, il faudrait faire le nécessaire pour préserver toute notre cuisine, avec des écoles qui ne se contentent pas d’enseigner une cuisine internationale », relève de son côté Fatema Hal

Le couscous est aussi un peu italien, espagnol ou français

Le couscous s’est diffusé parfois très tôt sur le pourtour méditerranéen, notamment en France où la population le classe aujourd’hui dans ses mets préférés .

Et c’est en Sicile qu’a lieu depuis 1998 le « championnat du monde de couscous », le Cous Cous Fest, « festival de l’intégration culturelle ».

Chaque année, en septembre, des chefs se retrouvent à San Vito lo Capo, dans le nord-ouest de cette île méditerranéenne qui a subi toutes les influences au cours de son histoire, pour rivaliser en matière de couscous, « le plat de paix » selon les organisateurs de cet événement festif.

Le vainqueur de l’édition 2017 a été la Palestine, avec la recette du chef George Suheil Srour de Ramallah et Elias Bassous de Bethléem. « Un couscous très spécial, avec crumble de fenouil et de grenade, filet de daurade grillé et saupoudrage de sumac sauvage qui frappe le jury par son harmonie et son équilibre ».

En France, l’arrivée de travailleurs nord-africains et de Français rapatriés (après les indépendances) au milieu du XXe siècle a largement contribué à populariser le plat. Mais celui-ci est alors déjà connu.

Dans son « Gargantua » paru en 1534, François Rabelais, écrivain français de la Renaissance, s’est amusé à décrire des banquets où « seize boeufs et 32 chevreaux » côtoyaient un nombre inimaginable d’autres bêtes — fauves, à poils ou à plumes–, accompagnés de « force coscossons et renfort de potages ». Quand Grandgousier festoyait, le couscous s’invitait donc à sa table.

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« Le mot couscous est déjà dans le dictionnaire de l’Académie française de 1878, dans sa graphie actuelle », rappelle Patrick Rambourg, historien des pratiques culinaires. Parce qu’il a parfois pris un K, été écrit cuscus, coscossons, couscoussou etc.

« Et dans un ouvrage de 1900, +L’Art du bien manger+, il est clairement précisé qu’on achetait du couscous chez Hédiard, place de la Madeleine à Paris, et qu’on pouvait demander à quelques chefs arabes de faire un couscous. Et il critique un peu, en disant que le couscous de chez Hédiard n’est pas le même que le +vrai+ couscous ». Le Larousse gastronomique de 1938 consacre « tout un chapitre » au couscous. Une longue histoire, donc, qu’a la France avec le couscous.

Mais il en va de même pour l’Espagne, l’ex Al-Andalus comprenant un peu du sud de la France, sous domination musulmane (Arabes, Berbères…) pendant des siècles.

« A partir du Xe siècle le blé dur est cultivé en Espagne et le couscous est sur les tables populaires où il côtoie les soupes, les panades, mais aussi sur celles de l’aristocratie car le célèbre Fadâlat al khiwân, +Les Reliefs de la table+, d’Ibn Râzîn, écrit au XIIIe siècle, cite le couscous avec les plats arrosés de bouillon », racontent dans « Les aventures du couscous » Hadjira Mouhoub et Claudine Rabaa, faisant référence au gastronome andalou, Ibn Razin Al Tujibi, né à Murcie en 1227, dans le sud de l’Espagne.

Avec l’AFP

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