En images: les Chevaliers de la tripe, une confrérie dédiée au culte d’un mets normand

38e réunion annuelle de la Confrérie normande de la Tripière Fertoise, à Bagnoles-de-l'Orne, © AFP
Aurélie Wehrlin Journaliste

C’est une fraternité pas comme les autres qui se réunit un samedi matin de septembre dans la campagne normande pour une cérémonie initiatique, dans un décorum de temps anciens, à mi-chemin entre pièce de Shakespeare et rite druidique.

Mais la joyeuse troupe en robes colorées et chapeaux, arborant de larges médailles autour du cou et rassemblée autour d’une marmite vernie à Bagnoles-de-l’Orne en Normandie, est composée des doyens et doyennes d’une confrérie bien française, dédiée à la promotion des délices gastronomiques des tripes — les quatre parties de l’estomac des ruminants.

À l’occasion de cette assemblée annuelle de la Confrérie gastronomique de la Tripière fertoise, Arlette Allix et son époux Christian jurent de se faire les ambassadeurs de la tripe, et notamment d’une spécialité, la brochette de tripes de Ferté-Macé, la ville voisine.

Main droite sur le chaudron, ils promettent d’être à la hauteur de la tradition normande du « bien manger et bien boire ».

Le « grand maître » les adoube alors d’un petit coup d’os sur l’épaule et leur remet leurs insignes rouge et vert ainsi que des médailles frappées d’une marmite et de tripes embrochées.

Sept émissaires d’autres confréries sont, eux, faits membres d’honneur de la vénérable fraternité de la tripe de Ferté-Macé, avant une parade à travers la ville et un repas de cinq plats dans un restaurant étoilé au Michelin dont, bien sûr, un plat de tripes fumantes.

Sus à la « malbouffe »

« C’est une association de bons vivants mais de bon vivants raisonnables », commente Jean Traon, un ancien gendarme de 73 ans, co-grand maître enjoué de la confrérie de Ferté-Macé.

« C’est une famille! », ajoute une des invitées, Marie-Chantal Eudine, 74 ans, coiffée d’un chapeau façon mousquetaire, à la plume jaune.

En France, la cérémonie n’a rien d’exceptionnel: 1.500 confréries, fortes de plus de 10.000 membres au total, souvent des retraités, portent haut les couleurs gastronomiques de leur région.

La tradition remonte au Moyen-Âge. L’une des plus anciennes vit le jour au XIIe siècle près de Bordeaux (Sud-Ouest), à Saint-Émilion, berceau des grands vins éponymes: la Jurade fut instaurée en 1199 par Jean Sans Terre, roi d’Angleterre qui délégua la gestion de la ville à des notables et des magistrats, en échange du droit pour l’Angleterre de jouir du « privilège des Vins de Saint-Émilion ».

Bannies en 1789 par la Révolution française, les confréries ont connu un renouveau dans la seconde moitié du XXe siècle, en réaction au phénomène nouveau de la « malbouffe ».

Non sans succès : « Il y a un côté désuet dans le cérémonial mais il y a un effet d’entraînement chez les charcutiers. Ils ont envie de s’y remettre », estime le député de l’Orne Joaquim Pueyo, l’un des hommes politiques ayant participé à la cérémonie ce matin-là de septembre.

Selon lui, si les bouchers locaux continuent de produire des tripes, c’est en bonne partie grâce aux efforts de la fraternité.

La demande existe, surtout dans le nord de la France: « On en manque tous les jours! », relève Guillaume Delignou, 29 ans, boucher à Ferté-Macé.

Grigri

Dans un pays dont la cuisine est reconnue par l’Unesco comme faisant partie du patrimoine, les présidents eux-mêmes s’impliquent: Jacques Chirac, connu pour sa passion de la tête de veau, passe pour avoir relancé ce plat; François Mitterrand se faisait le champion du cassoulet… Emmanuel Macron a, lui, réjoui la Confrérie gourmande du Cochon de Bayeux en signant son livre d’or, cette année, au salon de l’agriculture de Paris.

Pour les élus, la défense du terroir est incontournable. Végétarienne, la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet n’en défend pas moins le boudin noir, les tripes, en plus du boudin blanc et du camembert, célèbre fromage normand.

Au déjeuner de la confrérie au Manoir du Lys, elle a attribué son élection l’an dernier à son « grigri »: le médaillon brochettes de tripes !

Elle estime que les confréries, représentant « le meilleur de l’art culinaire français », doivent s’ouvrir à ceux qui se préparent à entrer dans les métiers de bouche, car « il faut transmettre tout ça! ».

Franck Quinton, chef au Manoir du Lys et petit-fils du fondateur de la confrérie, est déterminé à perpétuer la tradition de ce plat qui mijote pendant 14 heures dans le cidre et le calvados — une eau-de-vie de pommes produite en Normandie — ou le vin blanc. Non sans y apporter une touche nouvelle: « Moi je les coupe, je les grille à la plancha avec du homard et des Saint-Jacques… et c’est fantastique! ».

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