Mode d’emploi pour réapprendre à écouter ses proches

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Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Dans notre monde en perpétuel mouvement, savoir se taire et écouter, avec bienveillance, est devenu rare. Analyse et mode d’emploi pour réapprendre à tendre l’oreille.

La scène se passe dans un restaurant. Deux tourtereaux prennent du bon temps, en tête à tête… mais pas les yeux dans les yeux. Et pour cause, chacun pianote sur son smartphone, affichant un sourire béat, destiné à son écran ! Nous avons tous probablement capté, un jour, l’un de ces moments absurdes où le virtuel prend le pas sur le réel. Pour l’auteur français Stéphane Garnier, c’est en assistant à l’un de ces épisodes préoccupants que le franc est tombé.  » Ce fut un point de rupture, raconte-t-il. Je critiquais mes voisins mais l’amie avec qui je partageais mon repas et moi, nous avions aussi mis notre téléphone sur la table. En fait, je prenais le même chemin. Je me suis rendu compte qu’il y avait une espèce de progression rampante et qu’on s’était tous construit un univers parallèle, qui nous empêchait de vraiment communiquer.  » Grand observateur des travers de notre société, l’écrivain se penchera sur le sujet et sortira finalement, en octobre dernier, le bouquin Off ! (*).  » Le smartphone n’est pas dangereux en soi, c’est la surutilisation qu’on en fait qui pose problème, justifie-t-il. Le but de mon livre est de pointer une centaine de transformations de nos pratiques où cet appareil ne sert à rien d’indispensable. Il faut élaguer tout ce qui nous mange notre temps et nous coupe de nos semblables.  » Le constat est connu, mais l’entendre une fois encore n’est pas inutile, d’autant qu’à l’heure actuelle, cette surexposition au numérique, et l’accélération de nos vies qui en découle, ont un corollaire de taille : nous ne savons plus vraiment écouter. Une capacité qui, pour Stéphane Garnier, nécessite de  » recréer une bulle où l’on va retrouver un peu d’intimité et sortir de cette société du paraître qu’on développe à tout crin « .

Ecouter, c’est mettre entre parenthèses son égocentrisme. C’est accepter de se laisser guider, diriger et toucher par l’autre.

Mais si nos portables aggravent la situation, au départ, tendre l’oreille n’est déjà pas forcément naturel :  » Quand on est bébé, on a cet élan d’aller vers ceux qui nous entourent, alors même qu’il n’y a pas de parole. Mais très vite, on demande à l’enfant d’écouter pour obéir, pour être sage : il y a quelque chose qui s’installe et qui fait que lorsqu’on est amené à écouter, on est peut-être un peu méfiant ou on n’a plus envie « , souligne la Belge Catherine Blondiau, experte en communication non violente, prof de yoga et auteure (*).

Pour Patrice Ras, qui signe L’art d’écouter (*), les freins à cette bonne pratique qui consiste à  » prêter attention à ce que quelqu’un dit pour l’entendre et le comprendre « , comme la définit le Larousse, sont multiples. On peut notamment évoquer le rationalisme qui  » nous incite à lutter contre les émotions, accusées de tous les maux, et à chercher systématiquement à régler le problème de son interlocuteur « . Ou encore la culture occidentale patriarcale  » et ses valeurs qui sont la force, la compétition, l’action et l’efficacité. Pour la plupart des hommes, communiquer consiste donc à parler en vue de transmettre une information et/ou d’obtenir un résultat visible « . Et le passionné de psychologie de citer Goethe :  » Parler est un besoin, écouter est un art.  » Et d’expliquer :  » Ecouter, ce n’est pas discuter, répondre, chercher à avoir raison, régler le problème de l’autre. Cela demande un effort, celui de réfréner son envie de se raconter. C’est mettre entre parenthèses son égocentrisme. C’est renoncer à (tout) contrôler. C’est accepter de se laisser guider, diriger et toucher par l’autre. C’est aussi prendre le risque de perdre pied, de ne pas comprendre, de ne pas pouvoir aider et surtout de ne pas pouvoir sauver. Il y a donc une sorte de deuil à faire, celui de notre toute-puissance.  » Vaste défi…. Nous avons dès lors réuni ici les pistes suggérées par les experts pour tenter de (re)trouver ce talent enfoui en nous et de (ré)apprendre à ouvrir nos pavillons et nos coeurs. Un pur luxe dans ce monde de sourds…

Phase 1 – Réapprendre le silence

Avant d’être disposé à recevoir les confidences d’un proche, il est impératif d’apprivoiser cette denrée rarissime dans notre univers : le silence.  » Nous cherchons toujours à combler le vide ressenti, alors que tout émerge de là « , annonce Galdric Lhéritier dans Le scaphandrier, sorti en octobre dernier et qui donne de façon ludique des conseils pour s’ouvrir au moment présent (*).  » Apprendre à rester dans le silence, ça fait peur, constate Catherine Blondiau. Arrêter de parler, sans rien faire, s’asseoir, regarder le jardin, ce n’est pas forcément facile. Mais c’est apaisant, on n’est plus dans le mode de fonctionnement action-réaction qui fait que, quand on est dans un dialogue, on nous dit quelque chose et  » paf ! « , on réagit. Ecouter nécessite de se taire, ce qui implique un réapprentissage dans un monde où l’on est tout le temps dans le bruit extérieur. Personnellement, j’ai été avocate pendant quinze ans et ça a été difficile de retrouver cette capacité car mon métier, c’était d’avancer des arguments pour avoir raison.  »

Le tip pour y arriver ? Travailler sur sa respiration, reprendre contact avec elle, peut être une manière de faire silence, suggère notre experte en communication non violente :  » Regarder un chat ou un bébé qui respire, c’est très apaisant et ça permet de prendre la mesure de l’importance de s’arrêter et de sonder notre état intérieur.  »

Phase 2 – S’ouvrir à soi

Avant d’accueillir les pensées de l’autre, il est utile de se recentrer sur soi ; c’est ce que disent tous les experts.  » Il faut pouvoir écouter son corps, ses sensations, à travers les cinq sens. Et à partir de là, trouver son besoin – suis-je triste, énervé, détendu, heureux ? Tout cela a une importance « , récapitule notre prof de yoga. Galdric Lhéritier complète :  » Prenez conscience que vous n’êtes pas présent ; revenez au corps, sentez la chaleur pétillante dans vos mains. Le décor se remet alors en place devant vous. Vous êtes à nouveau dans l’instant.  »

Le tip pour y arriver ? Catherine Blondiau encourage chacun à s’arrêter trois minutes, trois fois par jour, et sonder son vécu… Les yeux ouverts ou fermés, c’est au choix. L’auteur du Scaphandrier, lui, préconise de marcher ou de s’asseoir sur un banc, en pleine conscience :  » Ecoutez votre respiration, fermez les yeux. Portez votre attention sur les bruits environnants : le sifflement d’un merle, les enfants qui jouent, la fontaine, la balançoire, un ballon, un vélo qui passe, les bribes d’une conversation, un cri, un rire. Peu à peu les sons deviennent clairs et précis. Vous les percevez en vous.  »

Phase 3 – Créer un champ empathique

Une fois prêt dans sa tête, il est temps de mettre en place des conditions extérieures optimales, tant dans le temps que dans l’espace. Car une personne qui a envie de se confier doit sentir qu’elle peut le faire pour oser lâcher les vannes.  » Il faut ouvrir un champ empathique, lié à la communication non violente, c’est-à-dire se rendre disponible et présent, sans jugement, explique Catherine Blondiau. Quand quelqu’un fait une demande de connexion –  » est-ce que je pourrais te parler de ça ?  » – il vaut mieux trouver un moment qui convient à tous les deux, pour être pleinement disponible. Parfois, ce n’est pas possible, et c’est normal, il est inutile de culpabiliser. L’état intérieur, l’énervement, la fatigue, le trop-plein peuvent faire qu’on n’est pas prêt.  »

Mode d'emploi pour réapprendre à écouter ses proches
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Le tip pour y arriver ?  » A la maison, par exemple, on dégagera des petits temps récurrents où l’on se rend libre – chez moi, c’est le petit-déjeuner et le retour de l’école – et où les membres de la famille peuvent déposer des choses s’ils le désirent. Même quand les enfants grandissent, ils doivent savoir que cet espace existe. Souvent, ils racontent des banalités mais s’il y a un jour quelque chose de plus important, ils sauront qu’on est là. On peut par ailleurs prévoir des rituels de tour de table : raconter son kif du jour, dire merci à quelqu’un, relater un instant difficile…  » Il va sans dire que le champ empathique nécessitera aussi de proscrire de l’espace smartphones et autres perturbateurs technologiques.

Nous accordons plus d’attention aux mots qu’à la communication non verbale alors que cette dernière a plus d’importance.

Phase 4 – Écouter avec le corps

Même si les oreilles jouent un rôle crucial, elles sont loin d’être les seules à travailler. Car comme le martèle Patrice Ras :  » Ecouter, c’est observer. Nous accordons plus d’attention aux mots qu’à la communication non verbale alors que cette dernière a plus d’importance.  » Ce que l’on dit n’aurait en effet qu’un impact réel de 8 % sur la communication, contre 92 % pour le corps et la voix !

Le tip pour y arriver ? La posture et la distance entre nous et notre interlocuteur sont prépondérantes.  » Avec un tout-petit, on sera très proche ; avec un ado, ce sera moins frontal, de biais probablement. Avec mon fils, par exemple, ça pourrait être affalés dans le fauteuil, mine de rien, s’amuse Catherine Blondiau. Avec son partenaire, un ami ou un collègue, ce sera encore très différent… Il faut se placer pour que l’autre sente énergétiquement qu’on est présent, et inversement. Et pour cela, tous les sens entrent en jeu : l’écoute, c’est avec tout son corps, et pas avec sa tête, c’est voir, sentir, toucher parfois…  »

Phase 5 – Ne pas juger

Le plus difficile, quand tout cela est mis en place, sera surtout de ne pas donner de conseils ou avis non sollicités !  » Notre mental va d’office tenter d’interférer et cela générera des bugs : on n’entendra pas le message dans son ensemble, prévient Catherine Blondiau. Des pensées vont intervenir, on risque d’être dans le jugement, la critique, l’attente…  » Patrice Ras souligne, lui, cette  » acceptation positive et inconditionnelle  » nécessaire et la définit comme  » la capacité à accueillir tout ce que dit l’écouté sans jamais le juger, le critiquer ou s’énerver sur lui « . Et ce, bien que nous ayons tous nos valeurs, nos croyances et nos certitudes. Pas question donc d’ouvrir la bouche sans y être invité ; le silence est d’or.

Le tip pour y arriver ? Patrice Ras propose quelques gimmicks intéressants pour compenser notre frustration de ne pouvoir prendre la parole :  » Puisque vous ne pouvez pas parler (beaucoup), vous pouvez néanmoins utiliser votre corps pour exprimer des choses : compréhension, empathie, accord, encouragements, etc.  » Sourire, par exemple, est le moyen le plus simple  » de signifier que vous ressentez de l’intérêt « . Hocher la tête est également une technique facile pour confirmer que vous comprenez. Enfin, on se mettra au diapason de son vis-à-vis :  » C’est une technique de PNL (Programmation Neuro-Linguistique) qui consiste à reproduire tout ou partie du comportement de l’autre. Vous pouvez ainsi synchroniser vos mouvements, votre respiration ou votre regard. Vous rassurez ainsi votre interlocuteur qui devient alors plus ouvert à vos interventions.  » Si vous avez bien écouté… à vous de jouer.

3 questions à Yvon Dallaire

Le psychologue canadien travaille depuis plus de quarante ans avec des couples en crise. Il sort aujourd’hui Qui sont ces hommes heureux ?, aux éditions Québec-Livres.

Quels sont les obstacles à une bonne communication entre partenaires ?

Nous avons identifié six domaines où les conflits peuvent être insolubles : les enfants, l’argent, la belle-famille, le partage des tâches, l’équilibre entre les vies privée et professionnelle et le sexe. En la matière, il ne faut pas chercher le consensus à tout prix. Si on accepte qu’on peut toujours s’aimer même si on a des divergences, on avance. Il faut se mettre d’accord pour vivre avec des désaccords. Je symbolise le couple par un damier, sur lequel on a mis des pièces pour jouer d’un côté aux dames et de l’autre aux échecs. Chacun a ses règles. Il faut être capable de mettre les siennes entre parenthèses pour essayer de comprendre celles de son conjoint et pouvoir passer des unes aux autres…

Quels sont les signes qui doivent alarmer ?

Le contraire de l’amour n’est pas la haine mais bien l’indifférence. Quand monsieur reste silencieux et que madame râle de plus en plus, il faut s’inquiéter du manque d’écoute : l’homme va continuer à communiquer de moins en moins et sa femme à s’agacer de plus en plus. Finalement, on aura un coffre-fort et une mégère.

Quelle est la meilleure recette pour une bonne écoute dans le couple ?

Dans notre société, on considère qu’il y a 20 % de couples heureux et on constate que ceux-ci se disent en moyenne 5 à 10 % de compliments de plus que de reproches, et expriment davantage leurs besoins que leurs frustrations. Il faut donc être dans la bienveillance avant tout lorsque l’on communique. Et accepter que l’autre soit autre et d’être ce que l’on est…

(*) À lire

  • Off ! Ta vie commence quand tu raccroches, par Stéphane Garnier, Les éditions de l’Opportun.
  • 60 exercices ludiques de respiration pour mon enfant et Cahier d’exercices de communication non violente, par Catherine Blondiau, éditions Jouvence.
  • L’art d’écouter, par Patrice Ras, éditions Jouvence.
  • Le scaphandrier apprend à s’ouvrir au moment présent, par David Ciussi et Galdric Lhéritier, éditions Bussière.

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