Mosaïques Odorico: la Bretagne redécouvre son patrimoine oublié

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Elles sont disséminées partout, il suffit juste d’avoir l’oeil… la ville de Rennes, dans l’ouest de la France, fait depuis dix ans redécouvrir les mosaïques Odorico, du nom d’une famille d’artisans issus d’une dynastie italienne, longtemps oubliées, voire détruites.

Chaque été, l’office du tourisme de Rennes propose de partir à la découverte de l’histoire et des travaux de la famille Odorico, des immigrés italiens qui ont importé à la fin du 19e siècle leur savoir-faire en Bretagne, région française n’ayant aucune tradition de mosaïque.

Rares et boudées par le public dans les années 90, ces visites ont suscité un regain d’intérêt à partir des années 2000 et affichent maintenant complet.

« Isidore et Vincent Odorico sont deux frères originaires de la province du Frioul » dans le nord de l’Italie, raconte Thérèse Jannes, guide à l’office du tourisme, « ils ont migré en France pour des raisons économiques ».

Leur voyage commence à Paris, sur le chantier de l’Opéra Garnier où ils rencontrent Gian Domenico Facchina, l’inventeur de la pose dite par inversion. Les deux frères s’en vont ensuite à Tours, dans le centre de la France, avant de s’installer à Rennes en 1882.

La mosaïque est alors en plein renouveau en France. La pose par inversion permet de travailler plus vite et moins cher, rendant accessible cet art aux particuliers. En pleine période hygiéniste, la mosaïque présente aussi un avantage: elle facilite l’entretien des murs et des sols.

Les deux frères ne manquent pas de commandes, publiques et privées. Leurs mosaïques s’inspirent de l’Art nouveau, comme rue Jules Simon, devant l’escalier extérieur d’une superbe maison. « Cette mosaïque en marbre rouge est bordée de dessins de fleurs et de feuilles. La végétation est très présente dans l’Art nouveau », précise la guide.

À la mort des deux frères, les fils d’Isidore, eux-mêmes appelés Isidore et Vincent, prennent le relais.

En 1918, ils créent la société « Odorico frères ». Fini l’artisanat, place à l’industrialisation. Des succursales ouvrent dans d’autres villes bretonnes, à Nantes, Angers et Dinard. À son âge d’or, l’entreprise emploie jusqu’à une centaine d’ouvriers. Rennes devient l’un des plus grands centres de production de mosaïques de France.

Si leurs mosaïques sont visibles dans 122 villes de l’ouest de la France, c’est à Rennes qu’elles sont les plus nombreuses. L’association des amis du patrimoine rennais en a comptabilisé au moins 47.

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– « Art déco » –

Vincent s’occupe de l’administratif. « Isidore, lui, a l’avantage d’avoir étudié aux Beaux-Arts. Contrairement à son père et son oncle, il va créer des modèles uniques, inspirés cette fois de l’Art déco et reconnaissables au premier coup d’oeil », précise la guide.

Pour s’imprégner au mieux du style d’Isidore fils, il faut se rendre devant les Halles de Rennes. Sur le fronton, une mosaïque des années 20 avec écrit « criée municipale » en lettres géométriques bleues. Des vagues rappellent l’univers de la mer sur un fond allant du vert au jaune. « Dans ses mosaïques, Isidore utilise souvent les dégradés de couleur », explique Mme Jannes.

Autre escale devant l’immeuble Poirier pour apercevoir le contraste mat-brillant qu’Isidore adorait tant. Des smalts d’or et d’argent brillent et dessinent des ronds comme en apesanteur sur un fond aux nuances de gris, de bleu et de vert. « J’adore ce jeu entre le clair et l’obscur », observe Julie Garfield, touriste californienne.

Mosaïques Odorico: la Bretagne redécouvre son patrimoine oublié
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Maeva Urvoy, venue de Saint-Brieuc, à une centaine de kilomètres de Rennes, admire l’alliance entre la mosaïque et l’architecture car ici, « les mosaïques épousent parfaitement les formes et les volumes de l’immeuble ».

Après un passage devant la maison très avant-gardiste des Odorico – la façade est entièrement recouverte de tesselles jaunes – la visite se termine par la piscine Saint-Georges où Isidore a orné le bassin de ses frises aux vagues bleues, vertes et dorées.

Isidore, le dernier des frères, meurt en 1945. L’entreprise ferme en 1979 et la mosaïque n’est plus à la mode. A tel point que beaucoup des oeuvres des immigrés italiens tombent dans l’oubli ou disparaissent.

« Une dame avait un jour trouvé une mosaïque chez elle. Un architecte lui avait dit de l’enlever car ça ne valait rien », ce qu’elle a fait, relate la guide. C’était en fait une mosaïque Odorico.

Mais désormais « il y a une réelle prise de conscience autour de ce patrimoine » qui se redécouvre, au propre comme au figuré: « des particuliers retrouvent des mosaïques sous leur lino ou leur parquet. Les réalisations ne sont pas forcément signées, mais certaines caractéristiques ne trompent pas », sourit la guide.

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