Le Cachemire, paradis de la poudreuse, veut se faire un nom dans le ski

"La poudreuse est à couper le souffle!", s'exclame Sergio Ghetti, un touriste italien. "Vous n'avez même pas à pousser sur les jambes, les skis glissent tout seuls". © AFP

Avec sa neige soyeuse et son massif quasi-vierge, le village de Gulmarg en Inde se verrait bien accueillir des compétitions internationales de ski. Mais les patrouilles indiennes lourdement armées rappellent que le Cachemire, au centre d’un conflit entre deux puissances nucléaires, est surtout la terre des rêves brisés.

Niché dans la couronne de montagnes qui ceint la vallée du Cachemire contrôlée par l’Inde, Gulmarg n’est qu’à un jet de pierre de la ligne de démarcation hautement militarisée avec le Pakistan.

Depuis la Partition de 1947, les deux frères ennemis se déchirent pour le contrôle de ce plateau himalayen d’une beauté éblouissante, un conflit dont découle une insurrection séparatiste dans la partie indienne.

« C’est un paradis, mais si peu de gens en profitent, ils ont tellement peur de venir au Cachemire », déplore Joe Dhillon, le responsable de l’école de ski locale.

Seule station de ski de la zone, Gulmarg est serti dans un écrin naturel presque inviolé. Sa télécabine, l’une des plus hautes du monde, permet de s’élancer de près de 4.100 mètres d’altitude sur la pente raide de sa longue et unique piste, où ne croisent que de rares skieurs.

Les aventuriers vont explorer des combes plus sauvages du massif qui surplombe le village, imprimant des traces parallèles dans la neige fraîche et pure.

Domaine skiable de Gulmarg
Domaine skiable de Gulmarg© AFP

« La poudreuse est à couper le souffle ! », s’exclame Sergio Ghetti, un touriste italien prenant une pause cigarette au soleil au pied de la montagne, le corps fourbu après une journée de ski hors-piste. « Vous n’avez même pas à pousser sur les jambes, les skis glissent tout seuls ».

Rouler dans la poudreuse

En bas, le terrain de golf se reconvertit l’hiver en piste pour débutants. Des jeunes femmes voilées tentent un chasse-neige mal assuré. Des vendeurs à la sauvette de barres chocolatées, cigarettes, thé, démarchent à grands cris. Les jambes arquées dans la neige, ployant sous l’effort, des tireurs de luges en longs manteaux cachemiris tractent péniblement de riches touristes indiens.

Des skieurs prêts pour une journée de descentes
Des skieurs prêts pour une journée de descentes© AFP

De ses yeux d’une clarté caractéristique de ce peuple d’altitude, G. M. Dar regarde par la fenêtre de son bureau la nappe de flocons scintillante qui recouvre le golf. « Mon rêve est que cet endroit émerge sur la carte du monde comme une destination de ski de premier ordre », confie avec émotion cet employé de l’office du tourisme qui travaille à Gulmarg depuis 42 ans, à un mois de la retraite.

Malgré le développement des infrastructures – principalement deux télécabines et un télésiège -, cette ancienne villégiature des colons britanniques et sa poignée d’hôtels sont encore très loin des usines à touristes des Alpes ou des Rocheuses américaines.

Les visiteurs indiens, qui ne savent généralement pas skier, prennent un selfie puis repartent. Quant aux amateurs de glisse étrangers, ils ne sont guère que 800 à 900 par an, quand la saison est bonne.

Le Cachemire, paradis de la poudreuse, veut se faire un nom dans le ski
© BELGAIMAGE

Désireux de promouvoir leur joyau, les responsables de Gulmarg discutent avec la Fédération internationale de Ski.

Leur but: faire homologuer leur piste afin que puissent s’y tenir des compétitions sportives internationales, assurance d’une bonne publicité grâce aux retransmissions télévisées.

M. Dar assure que ce sera le cas « d’ici un à deux ans, normalement ».

Ca n’arrivera jamais

Un enthousiasme que se charge de refroidir Chris Werren, un guide suisse qui réside chaque hiver à Gulmarg depuis douze ans: « Ils rêvent d’avoir une (épreuve de la) Coupe du monde ici, mais ça n’arrivera jamais ! Ils n’auraient même pas assez de chambres pour les journalistes ».

Une pente vertigineuse réservée à des skieurs confirmés, la compétition de nouveaux acteurs du ski mondial comme le Japon et la volatilité d’un Cachemire pris dans un conflit sans fin condamnent selon lui les ambitions de Gulmarg à s’enliser dans la poudreuse.

Après la flambée de violences qui a fait 70 morts dans la vallée l’été dernier, l’entreprise d’héliski locale n’a pas pu opérer cette saison en raison d’un nombre insuffisant de demandes.

De leur côté, la plupart des ambassades étrangères déconseillent avec insistance à leurs ressortissants de se rendre dans la zone.

Patrouille militaire
Patrouille militaire© AFP

Mais avec la forte présence de l’armée, à laquelle s’ajoutent des paramilitaires, la force de protection des frontières, les polices locale et touristique, les réseaux d’espions, « Gulmarg est moins risqué qu’une salle de concert à Paris ou un marché de Noël à Berlin », relève M. Werren, en allusion aux attentats qui ont endeuillé les capitales française et allemande depuis 2015.

Le fléau de Gulmarg serait-il aussi sa bénédiction ? « Les skieurs ne veulent pas venir dans une station de ski bétonnée qui a 70 pistes où on a besoin d’un GPS pour retrouver son chemin », déclare Khaver Jeelani, le gérant de l’hôtel Highlands Park, l’un des plus anciens du lieu. « Ici, vous êtes au contact de la nature ».

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