Les confidences en freestyle de Leïla Bekhti, une fille à croquer

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Isabelle Willot

A 34 ans, Leïla Bekhti revient sur les écrans après être devenue maman. Dans Carnivores, le premier film des frères Renier, elle admet avoir joué à se faire peur, comme jamais.

Elle a quelque chose de solaire, Leïla, qu’elle le veuille ou non, c’est comme ça et le printemps baveux qui plombe le ciel de Paris le jour de l’interview n’y changera rien. Cette manière, déjà, qu’elle a de vous ouvrir les bras avant de vous claquer deux bises ; on la sent heureuse d’être là pour parler de ce personnage si loin d’elle qu’il a réveillé pendant les huit semaines de tournage une part d’ombre insoupçonnée. Dans Carnivores, elle incarne Mona, une actrice frustrée, forcée de devenir l’assistante de sa soeur cadette Sam – jouée par Zita Hanrot -, comédienne à succès.  » Une histoire de fratrie, assure-t-elle, qui vous pousse à redéfinir ce qu’est pour vous la réussite.  » La question demande réflexion, ça tombe bien, Leïla n’est pas pressée.  » Mon agent avait prévu 40 minutes, mais moi j’ai tout mon temps. On s’installe en terrasse ?  » Entretien freestyle.

Les confidences d'une fille à croquer
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Quand on regarde Mona, cette actrice qui, tout au long du film, semble s’éteindre dans l’ombre de sa soeur, on se dit que Jérémie et Yannick Renier vous ont offert un vrai contre-emploi. C’est ce qui vous a tentée ?

Lorsque j’ai reçu le scénario, j’étais assez surprise car dans la vie, je suis aux antipodes de ce que peut être Mona. Cela m’a même fait peur, d’abord, heureusement plutôt le genre de stress qui vous anime, pas celui qui vous tétanise. C’est certainement l’un des rôles les plus troubles et les plus violents que j’ai joués jusqu’ici. Pour la première fois, j’ai dû travailler physiquement sur mon personnage, adopter une autre manière de marcher, de parler, de me tenir, j’étais dans la tension permanente.

Au-delà du rôle, qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec Jérémie et Yannick Renier ?

J’ai adoré leur univers. La rencontre avec le metteur en scène, deux ici, en l’occurrence, est primordiale pour moi. Un film, c’est un peu comme un voyage. J’aimais aussi l’idée de tourner dans un premier long métrage. C’est toujours beau d’être le témoin d’une telle aventure. Beau aussi de voir deux frères qui s’aiment raconter cette histoire terrible de rivalité entre deux soeurs.

« L’un des rôles les plus troubles et les plus violents que j’ai joués jusqu’ici »

Le fait qu’elles soient actrices toutes les deux exacerbe les tensions également…

Peut-être, mais c’est d’abord une histoire de fratrie. Le cinéma n’est qu’un décor, elles auraient pu être restauratrices, cela n’aurait pas changé grand-chose. On sent très vite que des conflits non résolus pèsent sur leur relation, liés à la mort de leur père, notamment, au regard pas toujours bienveillant que leur mère pose sur Sam, la cadette, à qui tout réussit, du moins en apparence. Car c’est bien cette notion de réussite, justement, qui est au coeur du film.

Ce face-à-face entre  » soeurs ennemies  » nous renverrait-il finalement au mythe universel de Caïn et Abel ?

C’est difficile à dire pour moi car je n’ai pas du tout ce type de rapport avec mon frère et ma soeur ! Lorsque j’observe de telles rivalités chez les autres, j’ai du mal à comprendre parce que cela m’est totalement étranger. Entre Mona et Sam, tout est à vif, c’est pour cela qu’elles s’aiment si mal.

Leïla Bekhti et Zita Hanrot dans Carnivores, en salle actuellement.
Leïla Bekhti et Zita Hanrot dans Carnivores, en salle actuellement.  » Une histoire de fratrie, qui vous pousse à redéfinir ce qu’est pour vous la réussite. « © SDP

Quand on regarde le réalisateur, interprété par Johan Heldenbergh, harceler son actrice, l’insulter, la rabaisser, on se demande ce qui a bien pu la pousser à accepter de travailler avec lui. Pourtant, ce genre de profil de metteur en scène pervers existe…

C’est drôle mais je n’ai jamais eu jusqu’à maintenant besoin d’utiliser à ce point une forme de violence que j’avais en moi et que je ne soupçonnais pas. Et pour la faire sortir, j’avais en face de moi des réalisateurs doux et bienveillants. Comme quoi… Après, nous avons tous nos propres limites. Je pourrais aller très loin pour mon personnage, j’ai besoin de lâcher prise quand je tourne. Je peux accepter d’être troublée, décontenancée, manipulée même un peu, mais pas trahie. Ma limite, c’est la trahison. Après, une fois encore, les patrons manipulateurs, sadiques, ça existe ailleurs qu’au cinéma. J’ai eu la chance de ne pas avoir eu affaire à un Brozec, comme dans le film, et si un jour cela m’arrivait, je ne sais pas comment je réagirais, mais si je ressens le besoin d’en parler ouvertement, je le ferai.

Est-ce qu’on se sépare facilement d’un personnage comme celui de Mona ?

Quel que soit le film, tout le temps du tournage, je suis dans le personnage. Ici, pendant huit semaines, j’étais Mona. Même les week-ends, j’avais du mal à la lâcher, à m’en décoller. Ce que j’aime dans ce métier, c’est pouvoir vivre plein de vies en une. Ça me donne envie de vivre la mienne encore plus intensément. C’est ce qui m’aide aussi à abandonner quand le tournage est fini car je ressens le besoin de me retrouver. Je ne pourrais pas jouer un rôle hors caméra.

La rivalité professionnelle, avec vos copines actrices ou même au sein de votre couple – parce que la compétition entre conjoints, ça peut arriver -, ça vous est étranger ? Sincèrement ?

Alors là, complètement ! Ce serait mentir de nier que ce métier fait profondément partie de ma vie. Il me rend pleine, heureuse, il m’épanouit, j’ai besoin de continuer… Mais ma réussite, je la place aussi dans la manière dont je gère mes relations avec les gens que j’aime. Là, je peux emmener mon fils avec moi facilement sur les tournages. Quand il sera plus grand, on verra ce que l’on fera mais je n’ai pas fait un enfant pour qu’il soit élevé par quelqu’un d’autre. Quand je regarde ceux qui m’entourent, mes amis que je connais depuis l’âge de 9 ans, ceux que je me suis faits dans le cinéma, cette deuxième famille que je me suis choisie, je me sens fière. Me dire que mon fils va grandir entouré de gens dont j’admire le coeur, c’est important…

A Cannes, en 2009, avec l'équipe d'Un prophète, parmi laquelle son conjoint, Tahar Rahim.
A Cannes, en 2009, avec l’équipe d’Un prophète, parmi laquelle son conjoint, Tahar Rahim.© GETTY IMAGES

Il y a pourtant des rôles dont vous rêviez qui vous ont échappé…

Oui, mais je préfère me dire :  » Oh là là, la chance qu’il ou qu’elle a d’avoir décroché ça !  » J’ai l’admiration facile. Et personne ne prend la place de personne, c’est une histoire de moment, de talent, de destin. C’est injuste mais c’est comme ça. J’aurais pu rater le casting de Sheitan et ne jamais faire ce métier. Tout se joue sur le désir d’un metteur en scène, c’est tellement intime le choix d’un acteur, tellement irrationnel, c’est comme une histoire d’amour. Parce que c’était lui, parce que c’était moi… Moi aussi, quand j’aime, je ne sais pas toujours dire pourquoi.

« Je ne vais pas non plus me mettre à raconter des petits trucs tristes sur ma vie pour éviter de culpabiliser »

La mode est aux  » power couples  » et, que vous le vouliez ou non, avec l’acteur Tahar Rahim, vous en incarnez un. C’est facile à gérer, cette image que l’on projette sur vous ?

Oui, parce que j’estime que me mettre en scène à ses côtés sur tapis rouge ou sur les réseaux sociaux, ce n’est pas mon métier. Je ne vais pas non plus me mettre à raconter des petits trucs tristes sur ma vie pour éviter de culpabiliser. Après, je ne juge personne, chacun fait ce qu’il veut, mais ça ne me viendrait même pas à l’idée, c’est une question d’intégrité.

A Cannes, en 2012, aux côtés de Carlos Reygadas et Tim Roth.
A Cannes, en 2012, aux côtés de Carlos Reygadas et Tim Roth.© GETTY IMAGES

Les réseaux sociaux justement, vous avez choisi d’y être, est-ce un mal nécessaire ?

Je suis sur Instagram et même s’il m’a fallu vachement de temps pour me décider, c’est un réseau qui me convient bien. Moi qui déteste les intermédiaires, là je peux m’adresser directement aux gens, leur parler avec quelques mots, une photo. Il faut que cela reste spontané bien sûr, d’ailleurs il peut m’arriver de ne rien poster pendant des semaines mais là, je suis dans un bon mood. Quand je le peux, je réponds aux messages qu’on m’envoie et j’aime ça. Mais là encore, je garde une certaine pudeur : poster ce que je mange et montrer de quoi j’ai l’air quand je me réveille le matin, cela ne m’intéresse pas.

Vous êtes aussi égérie L’Oréal Paris depuis 2011 maintenant. C’est un passage obligé pour une actrice de devenir le visage d’une marque ? Un signe de réussite ?

Pas nécessairement ! Je connais des actrices qui ne sont pas égéries et s’en portent très bien. En ce qui me concerne, c’est une fois encore une histoire de rencontre. Les équipes de L’Oréal Paris m’ont approchée pendant la promotion de Tout ce qui brille. J’ai pris le temps de la réflexion, je suis rentrée chez moi, je me suis passé de l’eau sur le visage et j’ai constaté que j’avais des produits de cette marque dans ma salle de bains, comme la plupart d’entre nous d’ailleurs, quel que soit notre niveau social. Etre consommatrice avant d’être le visage d’une marque, ça me paraissait intègre, ça rejoignait qui j’étais. C’est une vraie collaboration. Ils me soutiennent dans mon métier : à Cannes, les équipes viennent voir les films avec moi, pour la promo de Carnivores, ils sont là. Ils ont aussi accepté de parrainer une association qui me tient à coeur,  » Ce Ke Du Bonheur « , qui s’occupe du quotidien d’enfants hospitalisés. Mon côté glamour et coquet, je l’assume complètement… Mais pas tous les jours. Il y a des matins où je sors sans maquillage et je n’ai pas une police L’Oréal devant chez moi qui me dit :  » Hep hep hep, tu retournes et tu mets du rouge à lèvres et du mascara !  »

Dans Tout ce qui brille (2009), l'actrice donnait la réplique à Manu Payet.
Dans Tout ce qui brille (2009), l’actrice donnait la réplique à Manu Payet.© ISOPIX

Un mot sur vos projets à venir ?

Avant d’accoucher, j’ai enchaîné les tournages. On pourra me voir bientôt aux côtés de Fabrice Luchini dans Un homme pressé, je suis l’orthophoniste qui doit lui réapprendre à parler après un AVC.

Luchini incapable de parler, en soi c’est déjà cocasse…

Vous n’avez pas idée ! Ensuite dans Le grand bain de Gilles Lellouche, je suis l’une des coachs d’un groupe d’hommes qui se lancent dans la natation synchronisée et rêvent d’atteindre les championnats du monde. Enfin, je viens de terminer La Lutte des classes, où j’incarne, avec Edouard Baer, un couple de parents plutôt de gauche qui se demandent s’ils vont laisser leur enfant dans l’école publique ou l’inscrire dans le privé. Vous n’imaginez pas à quel point je me suis déjà mise à gamberger sur cette question !

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