Le foot, c’est beauf (et autres clichés à démonter)

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Lune de miel quadriennale entre grand public et ballon rond, la Coupe du monde constitue une belle occasion de décortiquer certains préjugés tenaces – voire de les tacler à hauteur du genou. En commençant par celui qui renvoie systématiquement dos à dos footeux et intellos.

Les Diables Rouges sont en Russie, youpie : le pays s’apprête à résonner des hymnes et des coups de klaxon, le timing des rencontres va rythmer les quatre semaines que dure la compétition. Une période de liesse footballistique qui sonne comme une parenthèse enchantée pour une certaine catégorie de supporters : ceux qui, vaguement honteux, gardent d’ordinaire leur passion confidentielle et profitent de la Coupe pour se fondre dans les hordes de supporters occasionnels, laissant ainsi éclater leur exaltation au grand jour. Car oui, il en existe qui ne parviennent pas à surmonter le poids de l’image véhiculée par leur sport fétiche, préférant en faire une publicité disons modérée, de peur de passer pour des beaufs – le mot est lâché. Car ils sont là, dans les campagnes et dans les villes, taisant leur science du 4-4-2 et leur avis sur les différents résultats, compositions et tactiques, au risque de se voir opposer une question d’apparence anodine mais peut-être lourde de sous-entendus :  » Quoi ? T’aimes le foot, toi ? « , balancée l’air de rien par un collègue, un parent, pour qui  » hier is da feestje « , c’est seulement une fois tous les quatre ans.

L’excellence footballistique est une forme d’intelligence.

Afin d’exorciser l’antagonisme entre football et intellect, ils ont pour habitude de citer des footballeurs cultivés ou instruits, de l’illustre Sócrates, docteur en médecine et activiste politique sous la dictature brésilienne, à l’Espagnol Juan Mata, diplômé de journalisme à l’Université polytechnique de Madrid ; voire, plus proche de nous, Simon Mignolet, notre second gardien de but, quadrilingue et licencié en sciences politiques. Malheureusement, ce sont toujours les mêmes noms qui font office de garants. Côté tribune, on convoque volontiers Bernard Pivot, amoureux transi de Saint-Etienne, ou Albert Camus –  » le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football  » -, comme ultime cautions intellectuelles… qui sonnent malheureusement comme autant d’exceptions qui confirment la règle. C’est que le camp d’en face a quelques numéros 10 dans sa team, et l’enchaînement de Desproges, dans une éloquente de ses Chroniques de la haine ordinaire intitulée  » A mort le foot « , en plein Mundial 86, nous laisse aussi pantois que la défense belge contre Maradona :  » Quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le football ? Quelle harmonie, quelle élégance l’esthète de base pourrait-il bien découvrir dans les trottinements patauds de vingt-deux handicapés velus qui poussent des balles comme on pousse un étron ?  »

SoFoot : les trois H

Le foot, c'est beauf (et autres clichés à démonter)
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Si une publication a pu inscrire le ballon rond dans le xxie siècle et lui rendre sa coolitude perdue, c’est évidemment SoFoot. Fleuron du groupe SoPress, le magazine français vient de fêter les 15 ans d’un insolent succès, dû à un savant dosage d’expertise et d’humour irrévérencieux, parcourant culture, lifestyle et société, chaussé de crampons, avec pour devise  » humour, humain, histoire « . Pour se pencher sur ce cas particulier, un insider, Noé Boever,  » mauvais arrière gauche, pire arrière droit « , qui en intégra la rédaction l’espace de quelques mois.  » Je suis tombé dessus il y a des années et j’ai directement accroché au ton, à la manière d’écrire. Les magazines de foot belges ( NDLR : et en premier chef nos estimés confrères de SportFoot Mag) sont très bons dans leurs analyses, mais restent concentrés sur l’aspect sportif. SoFoot regarde son sport d’un peu plus haut, et s’en sert pour parler d’autre chose. On ne le lit pas pour savoir qui a gagné ou perdu, à la limite, on n’y trouve même pas les résultats. Certains rédacteurs n’ont jamais vu un match de leur vie, c’est le cas d’un pote, qui se trouvait à Mossoul et qui y a réalisé un sujet sur le foot local. Ce n’est pas grave, tant que le sujet est bon. Et l’équipe de base est assez impressionnante, ils s’y connaissent vraiment et il y a de très belles plumes ; ces gars ne sont pas juste là pour faire des vannes, même s’ils sont très, très drôles. Bien sûr, on se fait parfois démolir pour des trucs jugés pas très sérieux, pas très crédibles, mais c’est aussi ce qui différencie SoFoot des autres. En quinze ans, c’est devenu une institution. « 

Sport extrême

Pourquoi tant de haine ? Tentative de réponse, avec le concours d’un de ces  » intellos du foot  » belges : Stephan Streker, réalisateur rare mais précieux, dont le film Noces fut nominé aux derniers Césars, officiant en tant que chroniqueur à La Tribune sur la RTBF. D’aucuns se sont d’abord étonnés de retrouver un professionnel du cinéma dans une émission sportive, mais son  » franc-parler châtié  » a finalement eu raison des sceptiques.  » Je suis un vrai footeux de base, très premier degré dans mon approche, revendique-t-il, et je porte un point de vue qui n’est que le mien, mais qui a l’avantage d’apporter un peu de recul par rapport au milieu. Comme Lao-Tseu l’a dit :  » Quand on est sur la montagne, on ne voit pas la montagne.  »  » Son avis  » extérieur  » offre ainsi une fraîcheur inédite à l’entre-soi du petit milieu footballistique, d’autant que, assez paradoxalement, ses longues tirades cachent le discours le moins consensuel du plateau ertébéen. Quelle vision a-t-il de ces fans discrets, tentés de faire peu de publicité sur leur passion pour préserver leur standing ?  » Ça n’a jamais été mon cas et je ne connais pas de supporter qui s’en cache, s’étonne-t-il. Et si le regard porté par mon entourage change en apprenant que j’aime le foot, ça leur appartient. Le jugement que l’on porte sur n’importe quel être humain en dira toujours plus sur nous-mêmes que sur cet être humain. L’erreur classique est de considérer le supporter de foot comme quelqu’un de limité intellectuellement, c’est complètement faux. Des gens brillants, des génies, des gens très éduqués, des gens moins éduqués, de tous les milieux sociaux, de tous les âges et de toutes les couleurs : le foot a un taux de pénétration aussi important auprès des ingénieurs qu’auprès des ouvriers.  »

Stanley Kubrick était un immense fan, ça ne l’empêche pas d’être le plus grand cinéaste de tous les temps.

Balle au luxe

Le foot, c'est beauf (et autres clichés à démonter)
© LOUIS VUITTON

S’il est un label haut de gamme qui, dans le stade, marque des points, c’est bien Louis Vuitton. La Coupe du monde est l’occasion pour le malletier de sortir le grand jeu.  » Nous ne sommes pas une griffe de mode, mais une marque universelle, tout comme le football est un langage universel, relevait récemment Michael Burke, CEO de l’entreprise. C’est une discipline fédératrice, qui véhicule des valeurs. Si vous êtes ouverts d’esprit, vous vous devez de participer à un tel événement.  » C’est ainsi que le trophée en or 18 carats et malachite que soulèvera l’équipe nationale la plus méritante, le 15 juillet prochain, s’est vu confectionner une malle sur mesure pour prendre la route de la Russie. Un objet fabriqué dans les ateliers d’Asnières, en Monogram Titanium, avec coins en cuir et huisserie en ruthénium – dont le symbole chimique est Ru, ce n’est pas un hasard -, pour faire la démonstration du savoir-faire de la maison. Dans la foulée, la griffe – qui en 2010 avait déjà opté pour Zidane, Maradona et Pelé comme égéries d’une de ses campagnes de pub – a également réalisé, en collaboration avec Adidas, une malle en édition très limitée. Celle-ci comprend treize ballons officiels utilisés depuis 1970, ainsi qu’un exemplaire unique designé par Vuitton. L’une de ces malles sera mise aux enchères le 10 juillet prochain au profit de la Fondation Naked Heart de la top et actrice Natalia Vodianova. Enfin, la marque sort également, pour les supporters fortunés, une collection capsule de maroquinerie, revisitant les sacs iconiques Keepall et Apollo, avec un motif hexagonal de circonstance et la possibilité de carrément faire personnaliser son accessoire aux couleurs de son pays. L’amour (du foot) n’a pas de prix.

Disponible dans une sélection de boutiques et sur le site de la marque.

Quand bien même, il est difficile de nier la réputation pas toujours reluisante colportée par le supporter moyen. Une situation qui s’explique aisément, à en croire le consultant :  » A mon sens, le vrai aficionado est avant tout victime des médias, déplore-t-il. Ceux-ci présentent soit des hooligans, qui sont des crapules, soit des supporters débiles en train de s’égosiller, si possible avec un bonnet tricolore à cornes et une chope en main. Une image dans laquelle je ne me suis jamais reconnu. C’est injuste et un peu agaçant… Stanley Kubrick était un immense fan, ça ne l’empêche pas d’être le plus grand cinéaste de tous les temps. Ce sport n’est pas autre chose que le reflet de ce qui l’a précédé et de ce qui l’entoure ; quand on y trouve de la violence, c’est parce qu’elle existait déjà, et qu’elle s’est cristallisée dans le foot.  »

Reste cependant à identifier pour quelles raisons ce dernier polarise autant.  » Parce que tout est extrême, parce qu’il est le sport le plus populaire, et de loin, dans nos pays. C’est en ça qu’il inspire les excès les plus importants. Un supporter a quelque chose d’extrêmement pur : son amour pour un club est non négociable. Les êtres humains changent de tout, de voiture, de maison, de pays ou même de conjoint, mais pas de club de coeur.  » On divorcerait donc plus facilement de sa femme que de ses couleurs ? Au vu des statistiques, on serait tenté de le croire. Alors, comment faire taire les mauvaises langues ? En se recentrant sur le plaisir et sur le jeu, pourquoi pas au niveau local, avance notre interlocuteur :  » Le vrai foot, c’est le terroir, le stade. Outre la Coupe du monde, ce qui mobilise clairement le plus, c’est ce qui se passe chez nous – les déboires d’Anderlecht, la remontée du Standard, encore plus que les grandes équipes. C’est son village contre le village d’à côté.  » Et surtout,  » n’attachons pas trop d’importance aux détracteurs « .

L’erreur classique est de considérer le supporter de foot comme quelqu’un de limité intellectuellement.

Quand les filles montent (doucement) au jeu

Le foot, c'est beauf (et autres clichés à démonter)
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Chez nous comme un peu partout, le foot féminin connaît un boom sans précédent, et l’on se félicite de compter plus de 30 000 affiliées à l’URBSFA, ainsi que des résultats plus qu’encourageants pour nos Red Flames. Une lente et longue reconnaissance forgée dans la boue et la sueur, pour l’amour du jeu et de la franche camaraderie. Et si les filles s’apprêtaient à sauver le foot ? Assistante en journalisme à l’UCL et attaquante au FC St Michel, Fanny Declercq s’est inscrite en club dans l’effervescence de la Coupe du monde 2014 au Brésil – après six ans passés en Amérique du Sud, on précise.  » Je n’ai pas le profil type que s’imaginent les gens, petite, carrée, sûrement homo, au crâne rasé. Mais je ne cache jamais le fait que je joue au foot, au contraire. C’est même un bon moyen de briser la glace, de lancer une conversation ou de se démarquer, ça peut carrément devenir un argument professionnel – ou de drague, suivant les circonstances. J’ai toujours été étonnée de cette réputation que traîne cette discipline, alors qu’elle demande beaucoup de discernement. L’excellence footballistique est une forme d’intelligence. Il y a pour moi un aspect clairement artistique dans le foot, à travers la maîtrise, la beauté des gestes et des mouvements ; c’est comme une chorégraphie. Or, j’ai l’impression que c’est typiquement européen, ou du moins francophone, d’opposer sport et culture. Evidemment, il y a une sorte d’animalité qui se dégage sur et en dehors du terrain, c’est un sport qui prend aux tripes plus que les autres. Et si parfois il rend bête et violent, ça concerne toutes les classes sociales, autant les communes privilégiées que les zones sinistrées. Alors, c’est sûr, le foot féminin est à la mode, il y a de plus en plus d’équipes, et la compétition a certainement des côtés plus authentiques, susceptibles de plaire à un large public. De là à dire qu’on va sauver le foot ? On a un peu plus de visibilité, on est invitées le 8 mars pour serrer des mains, mais il n’y a pas longtemps que l’on a droit aux vrais terrains, avant, on s’entraînait sur du sable. Et encore aujourd’hui, même l’équipe nationale joue avec des équipements masculins. Bref, il reste pas mal de chemin. « 

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