La déferlante du féminisme encore plus forte après les affaires de 2017

Elles étaient un demi-million, le 21 janvier, à défiler à Washington pour afficher leur ras-le-bol. © Albin Lohr-Jones/belga image

Au cours des douze derniers mois, les occasions pour les femmes de se révolter contre le sexisme larvé n’ont pas manqué. Si la parole s’est libérée, elle met encore du temps à se faire entendre. Vraiment.

Il n’est jamais simple, même a posteriori, de déterminer ce qui déclenche une révolution. Si le féminisme ne date pas d’hier, sa  » quatrième vague  » non plus d’ailleurs – cela fait une bonne dizaine d’années déjà que les femmes ont repris leur combat, contre le sexisme ordinaire cette fois, avec les cyberoutils du nouveau siècle -, la machine s’est bel et bien emballée cette année. Trump y est pour beaucoup, le fait est indéniable. Comme si son accession à la fonction suprême de  » leader du monde libre « , en dépit des accusations d’agressions sexuelles étayées par la vidéo dans laquelle il se vantait sans vergogne d’attraper ses victimes  » par la chatte « , consacrait le droit d’insulter, de harceler, de violenter la moitié du genre humain en toute impunité.  » Cette élection a en tout cas démontré, aussi à celles qui jusque-là ne se sentaient peut-être pas directement concernées, le retour du discours réactionnaire, la consécration du pouvoir de l’homme blanc, riche, raciste, phallocrate, méprisant les pauvres et les minorités, pointe Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes, à Bruxelles. Des prises de parole odieuses et publiques sont devenues admissibles. Face à ce machisme décomplexé, à la misogynie crasse qui éclate au grand jour, il y a de quoi se rebeller. C’est toujours plus facile, d’ailleurs, quand on a face à soi un ennemi identifiable.  »

Le producteur Harvey Weinstein, à l'origine de l'affaire qui ébranla Hollywood... puis le monde.
Le producteur Harvey Weinstein, à l’origine de l’affaire qui ébranla Hollywood… puis le monde.© David Paul Morris/getty images

Le pussy hat au musée

Les femmes ont donc crié  » basta « , un peu partout et dans toutes les langues. Au lendemain de l’investiture du président américain, déjà, le 21 janvier, elles seront des millions à défiler, à Washington et dans près de 600 villes aux quatre coins de la planète. Un raz-de-marée de bonnets roses déferle alors dans les rues. Le  » pink pussy hat « , dont le patron à tricoter a été mis en ligne par les Californiennes Krista Suh et Jayna Zweiman, est depuis entré au Victoria & Albert Museum de Londres, en tant qu’  » incarnation tangible de la solidarité féminine et de la puissance de l’action collective « .

Parce qu’elle n’a pas son pareil pour flairer l’air du temps, la mode aussi s’est engouffrée dans la brèche, Dior en tête avec, pour son printemps-été 2017, des tee-shirts à slogan – dont le célèbre  » we should all be feminist « , emprunté à l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie – suivi de près par les enseignes de fast fashion qui n’hésitent pas à mettre  » l’empowerment  » à toutes les sauces… Ces vêtements, une nouvelle génération de féministes, jeunes surtout, les enfilent comme des armures pour partir à l’assaut des différentes formes de sexisme qui polluent leur quotidien.

Pendant que la résistance s’organise, les prémices de ce qui deviendra  » l’affaire Weinstein  » se dessinent. Aux abois dès le mois de janvier, le producteur américain lance son détective sur les traces de  » celles qui parlent  » au journaliste Ronan Farrow dans le but d’acheter leur silence. L’enquête, étayée par le témoignage de treize femmes, sera publiée le 10 octobre dans The New Yorker avec les dézingues en cascade que l’on sait. Depuis lors, les têtes n’en finissent pas de tomber et aucun secteur n’est épargné. L’islamologue Tariq Ramadan et le socialiste français Thierry Marchal-Beck rejoignent l’acteur Jeffrey Tambor, le roi du stand-up Louis C.K. et les photographes Terry Richardson et Bruce Weber, entre autres, sur la liste infamante qui n’en finit plus de s’allonger.

Time Magazine a désigné
Time Magazine a désigné  » celles qui ont brisé le silence  » comme personnalité de l’année : des célébrités mais aussi des anonymes.© belga image

La force de frappe des #MeToo et autre #BalanceTonPorc – ce n’est pas pour rien que Time Magazine a décerné aux briseuses de silence le titre de personnalité de l’année – permet enfin aux victimes de réaliser qu’elles ne sont pas seules et de trouver le courage de témoigner sur la Toile.  » Quand on voit les douleurs qui se sont exprimées, cette parole qui enfin se libère a du bon, relève Laurence Rosier, professeure de linguistique à l’ULB et auteure de l’ouvrage De l’insulte… aux femmes. Certains ont vu dans le hashtag BalanceTonPorc une injure et un appel à la dénonciation. En soi, ce n’est pas une insulte. Plutôt un mot d’ordre, qui appartient certes à un registre vulgaire et outrancier, sans doute nécessaire, dans un premier temps, pour porter une parole qui dénonce. Dans l’imaginaire collectif, ce registre n’est d’ailleurs pas permis aux femmes qui se doivent de rester les gardiennes du temple du langage, à la maison surtout. Tout discours d’émancipation sociale contient sa part de violence. En termes d’insultes sexistes, sur la Toile en particulier, on est très loin de la symétrie.  »

Terry Richardson, un photographe de mode désormais boycotté par les plus grands magazines du secteur.
Terry Richardson, un photographe de mode désormais boycotté par les plus grands magazines du secteur.© Stefan Wermuth/reuters

Oser être celle qui dénonce

En Belgique aussi, le patriarcat rampant a démontré tout au long de l’année qu’il avait de beaux restes. Du camion publicitaire vantant les mérites de la prostitution estudiantine aux abords des campus universitaires, en passant par le harcèlement de rue incessant et les podiums inégalitaires du marathon de Bruxelles, sans oublier la publicité sexiste du Forem mettant en scène une fillette déguisée en femme de ménage prête à  » réaliser ses rêves « , les raisons de s’indigner se sont multipliées. A Avignon cet été, dans les coulisses du festival, ce sont les pratiques abusives du directeur du théâtre bruxellois des Tanneurs, que plusieurs comédiennes décident de dénoncer. Le scandale révélé quelques mois plus tard par Le Soir conduira finalement à l’éviction de David Strosberg.  » Le plus incroyable, c’est que cela se savait, dénonce l’actrice Valérie Bauchau. Ce qui rend peut-être les choses encore plus difficiles dans les métiers du spectacle, c’est qu’au nom du désir, celui de monter sur scène pour porter un projet, celui sans lequel rien ne se fait, on peut tout à coup glisser vers des rapports de séduction qui, conjugués à de l’abus de pouvoir, peuvent dans certains cas conduire au pire. A coups de « ce n’est pas si grave » successifs, on se retrouve devant le choix cornélien d’être celle qui dénonce, au risque d’être mise au ban de la profession, ou de fermer les yeux pour jouer, garder son boulot et devenir soi-même complice d’un système. Ce qui m’a choquée au plus haut point, c’est le temps qu’il a fallu pour le mettre à pied une fois que les faits ont été connus. L’absence de réaction, le refus de s’impliquer de certains sous prétexte « qu’on ne frappe pas un homme à terre », comme si la femme à terre, elle, n’existait pas ! Il importait que ces faits cessent, et cela impliquait de les dénoncer.  »

L'islamologue Tariq Ramadan, visé par plusieurs plaintes.
L’islamologue Tariq Ramadan, visé par plusieurs plaintes.© Stephane Mahe/reuters

Si l’on entend dire que la honte a aujourd’hui changé de camp, la parole des femmes reste souvent mise en doute, même si, et c’est heureux, de révélations en révélations, grâce aussi aux campagnes de sensibilisation et de prévention, le seuil de tolérance face à l’inacceptable diminue. Bien décidées  » à ne rien lâcher « , les néoféministes restent sur la défensive. A ce titre, le choix par l’Union belge de foot de confier au rappeur Damso le soin de composer le nouvel hymne des Diables Rouges apparaît à d’aucunes pour le moins inopportun.  » Le problème, ce n’est bien sûr pas la chanson à venir qui, évidemment, ne contiendra pas de propos sexistes, mais d’adouber un chantre de la violence, réputé pour ses textes dégradants à l’égard des femmes, souligne Viviane Teitelbaum, présidente du Lobby européen des femmes. L’Union belge est dans le déni, elle a fait un mauvais choix et pourrait l’admettre. On a tort de minimiser les dégâts collatéraux que de tels textes peuvent provoquer chez les jeunes.  » Et la députée bruxelloise MR de regretter aussi le règne de l’entre-soi, cette solidarité machiste qui n’hésite pas à brandir  » l’humour  » pour contrer les discours émancipateurs féministes. Un système de défense –  » c’est du 24e degré  » – qu’utilisera aussi la RTBF pour édulcorer l’insultant  » A poil  » lancé en pleine salle de presse de la cérémonie des Magritte, par son journaliste vedette Hugues Dayez, à l’apparition de la maîtresse de cérémonie Anne-Pascale Clairembourg. Pas de blâme, pas d’excuses, comme si la faute, finalement, en revenait aux offensées coincées qui n’auraient rien compris.  » Les femmes, hélas, restent une catégorie d’exception au regard de laquelle certains s’imaginent encore qu’ils peuvent tout se permettre « , conclut Valérie Lootvoet. Pour que cela change, il faudra bien punir et pour cela légiférer. Eduquer surtout, apprendre le respect. Une bataille longue en vue, de laquelle pourtant tous et toutes sortiront gagnants.

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