« Le luxe n’est pas que financier, il fait appel au rêve, à la subjectivité et au spirituel »

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L’anthropologue français Marc Abélès se penche sur l’évolution d’un secteur économique, social et symbolique très fructueux : le luxe. Et c’est passionnant. Rencontre.

Pourquoi le luxe est-il associé à  » des images de richesse, de réussite et de bonheur  » ?

Marc Abélès.
Marc Abélès.© Belga Image

On le définit par  » ce qui n’a pas de prix « , ça va au-delà d’une valeur mesurable. Le luxe peut être matériel ou subjectif. Toutes les sociétés, même les plus archaïques, attribuent une place particulière aux objets précieux, voire ostentatoires ou superflus. En latin, le mot luxe signifie  » excès, débauche, luxure « . Aussi possède-t-il un côté ambivalent et moralisateur. Le luxe s’est démocratisé. Il est désormais lié à la notion de bonheur accessible, grâce à une consommation hédoniste. La quête d’authenticité lui redonne ses lettres de noblesse.

Que dit ce business rentable de nos sociétés ?

Les sciences sociales se penchent surtout sur la misère, or je m’intéresse aux gens en position de pouvoir et de richesse. Le luxe s’accompagne d’un certain statut. Les marques l’ont bien compris. Elles nous conditionnent via des images puissantes, où les stars sont présentes. Acheter un produit de luxe revient à s’offrir un cadeau exceptionnel. Certains n’en ont pas les moyens, or soudain il devient un besoin. L’hyper-individualisme nourrit l’acquisition du luxe. On s’octroie une liberté grâce à l’argent. C’est une façon de s’affirmer, mais il y a aussi une part de mimétisme. Les réseaux sociaux ne lancent-ils pas les it girls ? Face à l’uniformisation, la jeune génération de designers et créateurs devra se réapproprier ses codes et sa culture. Les choses bougent rapidement. Voyez la mode en banlieue ou en Chine.

Comment expliquer l’union du luxe et des artistes contemporains ?

Le luxe brasse beaucoup d’argent, or il est menacé s’il ne se renouvelle pas constamment. Les artistes sont des créateurs, alors l’industrie du luxe fait appel à eux. Dalí avait déjà conçu des robes pour Balenciaga. Polyvalents, Murakami, Cindy Sherman ou Wei Wei jouent les marginaux et les artisans. Aujourd’hui, mêmes les artistes sont devenus des marques. Ces deux domaines sont rentables et évoluent parallèlement. Les frontières entre eux se brouillent. Les uns enrichissent les autres, y compris au niveau de la créativité. Le luxe n’est pas que financier, il fait appel au rêve, à la subjectivité et au spirituel. K.E

Un ethnologue au pays du luxe, par Marc Abélès, Odile Jacob, 144 pages.

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