La beauté selon le photographe de mode Peter Lindbergh

Peter Lindbergh © Peter Lindbergh Stefan Rappo
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

De passage à Bruxelles pour présenter son ouvrage Shadows on the Wall, le photographe de mode allemand Peter Lindbergh revient sur sa conception particulière de la beauté, celle-là même qui a fait son succès. Loin des retouches et du maquillage, l’homme invite tout un chacun à devenir ce qu’il est.

Lupita Nyong’o, Penélope Cruz, Charlotte Rampling, Jessica Chastain… comme on ne les a jamais vues. Elles s’affichent au naturel sur le papier glacé de Shadows on the Wall. Les images ont été choisies par Lindbergh himself parmi 37 000 clichés inédits pris lors des séances de shooting du dernier calendrier Pirelli (2017). Pirelli ? Même s’il fait appel aux talents les plus prisés – Mario Sorrenti, Steve McCurry, Mario Testino –  » The Cal « , comme on le surnomme, contribue officiellement, et ce depuis 1964, à la réification de la femme. Des pneumatiques et des corps de rêve sur fond de visibilité publicitaire : ce genre d’équation n’a pas le machisme pour inconnue. Loin d’un glamour artificiel et d’un usage de la nudité quasi carnassier, Peter Lindbergh porte un autre regard sur le féminin. Jusqu’ici, seule Annie Leibovitz avait été capable d’honorer la commande sans verser dans le stéréotype rabaissant. Ce n’est pas étonnant que Peter Brodbeck, de son vrai nom, ait déjoué le piège de la perfection qui fige. Né en 1944 à Lezno (Pologne), il a grandi en Allemagne, à Duisbourg. A l’entendre, cet environnement lui a apporté  » la stabilité affective et les pieds sur terre « . Parmi ce qui l’a construit, cet homme au regard et au sourire doux pointe aussi la rencontre avec le photographe allemand Hans Lux. Dans un anglais rendu savoureux par son accent germanique, il explique :  » Il a été mon modèle, j’ai beaucoup appris à son contact. Il était totalement dénué d’ambition. Ce qui l’intéressait vraiment, c’était les liens qu’il pouvait établir avec les gens. J’ai fait en sorte de rester sur la même ligne de conduite.  »

Shadows on the Wall, par Peter Lindbergh, Taschen, 288 pages.
Shadows on the Wall, par Peter Lindbergh, Taschen, 288 pages.

Au rayon des influences déterminantes, il faut également souligner l’impact que l’art conceptuel a eu sur son travail. Au sommet de son panthéon, il place Joseph Kosuth qu’il a rencontré et photographié.  » Avec lui, j’ai réalisé que l’art relevait du domaine des idées, qu’il n’avait rien à voir avec l’esthétique ou le goût. En réalité, quel que soit l’objet d’une photographie, c’est l’idée qui persiste « , confie-t-il. Cette attirance pour un certain minimalisme traverse son oeuvre. Elle suscite d’ailleurs l’enthousiasme de nombreux curateurs, qui s’appliquent à rapatrier son travail visuel dans le champ de l’art contemporain.  » Ce qui n’est que beau m’a toujours ennuyé. Ce qui me fascine, c’est ce qui est puissant et vrai « , répète l’intéressé à l’envi. Et il le prouve, refusant fermement de retoucher ses images dans le sens du jeunisme et de la perfection. Ce portraitiste hors-pair, qui avoue prendre entre 5 000 et 7 000 images par jour, confesse les enjeux de sa pratique :  » Le plus difficile quand on réalise le portrait d’une actrice, c’est de l’éloigner des personnages qu’elle a l’habitude d’incarner. Nicole Kidman, par exemple, que je connais comme ma soeur, a eu beaucoup de mal à le faire. J’ai dû lui garantir de faire également des prises de vue classiques, c’est-à-dire avec maquillage et mise en scène habituelle, au cas où elle ne serait pas satisfaite du résultat.  » Pour ce talent désormais installé à Paris, les photographes sont les grands coupables de la tyrannie de l’apparence qui empêche les femmes de se montrer telles qu’elles sont, eux qui alimentent la machine à fantasme. Il veut être celui qui lave cet affront fait à l’intériorité.

 » Etre soi est sans doute la chose la plus difficile qui soit, j’espère moi-même y parvenir un jour… En attendant, j’essaie de mener les autres vers cet épanouissement. J’ai la faiblesse de croire que j’y arrive parfois. Sur les 37 000 images du calendrier, j’ai réussi 44 fois, soit le nombre de clichés que j’ai retenu pour le livre. Normalement, Pirelli, qui est le propriétaire de ces images, ne les rétrocède pas… mais ils ont compris ce qui était en jeu, soit une quarantaine de moments de vérité arrachés à un monde qui se ment à lui-même.  »

Bio express

1944 : Naissance à Lezno.

1960 : Etudes à l’Académie des arts de Berlin.

1969 : Première expo à la galerie Denise René – Hans Mayer, à Paris.

1990 : Signe la mythique cover du Vogue britannique avec Linda Evangelista, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Christy Turlington et Tatjana Patitz.

1991 : Réalise Models the film, un documentaire montrant des femmes là où certains ne voient que des mannequins.

2016 : Shooting du calendrier Pirelli 2017.

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