Iwan Baan, l’homme qui survole l’architecture contemporaine à travers le monde

Une école flottante de l'architecte Kunlé Adeyemi, dans le village lacustre de Makoko, au Nigeria. © IWAN BAAN
Kathleen Wuyard

La veille de leur effondrement, il avait shooté les tours du WTC à bord d’un hélicoptère. Parcourir ses clichés, c’est survoler l’architecture contemporaine du monde entier. Rencontre avec le célèbre photographe néerlandais qui met l’art de bâtir en boîte.

En surfant sur des sites de design tels que Dezeen ou ArchDaily, on se rend vite compte du nombre impressionnant d’images de nouveaux bâtiments signées Iwan Baan. C’est que le Néerlandais est probablement le photographe d’architecture le plus sollicité au monde et compte, parmi sa clientèle, des noms prestigieux comme David Chipperfield, Herzog & de Meuron et Rem Koolhaas, pour n’en citer que quelques-uns. Généralement, ces stars de l’art de bâtir lui commandent des reportages sur leurs dernières réalisations, pour en faire la promotion dans les médias, juste avant leur parachèvement. Mais l’homme retourne également toujours sur place plus tard, pour voir le bâtiment  » fonctionner « .  » Ce qui m’intéresse vraiment, c’est la manière dont les gens l’habitent et l’utilisent « , explique-t-il en préambule à notre entretien… Le cadre est posé : l’humain, avant tout.

Le Biomuseo dans le canal de Panama, un musée et un jardin botanique dessinés par Frank Gehry.
Le Biomuseo dans le canal de Panama, un musée et un jardin botanique dessinés par Frank Gehry.© IWAN BAAN

On dit qu’il n’est pas toujours facile de collaborer avec des architectes. Comment gérez-vous cela ?

Un architecte doit évidemment avoir beaucoup de persévérance pour faire sortir de terre un bâtiment. De plus, il a en général une idée très précise de la manière dont il veut mettre en scène cette réalisation. J’essaie de ne pas trop y prêter attention. Je dois avant tout me laisser inspirer par un lieu, raconter une histoire. Je veux capturer le moment où il se passe quelque chose, les événements que le concepteur ne peut pas planifier. Mon oeuvre se caractérise par une volonté de montrer l’édifice dans son environnement. Pourquoi se trouve-t-il à cet endroit précis ? Pourquoi a-t-il été érigé de cette manière ?

A quand remonte votre passion pour la photographie ?

A mes 12 ans, lorsque ma grand-mère m’a offert un appareil. Depuis lors, je suis fasciné par cette discipline. J’ai fréquenté l’Académie des beaux-arts de La Haye. J’étais encore assez jeune quand j’ai obtenu mon diplôme. J’ai fait beaucoup de documentaires et j’ai accepté de nombreuses missions, tout simplement pour survivre.

D’où vous vient cet intérêt pour la photographie aérienne ?

Une image prise du ciel permet de rassembler plusieurs  » couches  » différentes. On peut l’observer pendant des heures parce qu’elle contient une foule d’informations. De haut, il est possible de composer un cliché et de définir un point dans l’espace avec une grande précision : en trois dimensions, à l’avant-plan comme à l’arrière-plan. J’ai réalisé l’une de mes premières photos aériennes la veille du 11 septembre 2001 et de la destruction des tours jumelles du World Trade Center. Je devais faire des clichés de New York. J’ai donc loué un hélicoptère, travaillé toute la journée et le soir. Puis, je suis reparti à Amsterdam. En arrivant aux Pays-Bas, j’apprenais que des avions s’étaient écrasés sur ces gratte-ciel. Je détenais tout à coup des images historiques. C’est précisément ce qui me fascine autant dans l’architecture : on construit pour le long terme. L’art de bâtir semble aller de soi et devient même invisible pour les habitants. Mais dans le même temps, la vie ici-bas est si fragile… Elle peut faire son apparition, mais aussi disparaître avec la même rapidité.

Le Centre culturel Heydar Aliyev de feu Zaha Hadid, en Azerbaïdjan.
Le Centre culturel Heydar Aliyev de feu Zaha Hadid, en Azerbaïdjan.© IWAN BAAN

Vous photographiez les grands de ce monde, au sens littéral du terme. Vous avez un port d’attache ?

J’habite dans une valise. Tout bien compté, je vis deux jours par mois à Amsterdam, où je possède une maison et un bureau. Le reste du temps, je suis ailleurs. Ma femme et notre fils de 2 ans voyagent avec moi. Nous descendons dans des hôtels et des appartements et nous avons une maison au nord de New York, notre pied-à-terre quand nous sommes en Amérique.

Votre rencontre avec l’architecte néerlandais Rem Koolhaas a joué un rôle déterminant dans votre carrière…

Je suis entré en contact avec lui par hasard et j’ai trouvé son travail passionnant. C’était une période particulière pour son bureau OMA, en 2005. Il venait d’achever plusieurs projets d’envergure – l’IIT à Chicago, la bibliothèque publique de Seattle, la Maison de la musique à Porto, une ambassade à Berlin – et il s’attelait au chantier du siège de CCTV à Pékin. La Chine était en plein boom, on y construisait à tour de bras en prévision des jeux Olympiques de 2008. C’était le moment idéal pour s’intéresser à l’architecture et observer des villes en évolution. J’ai pu assouvir pleinement mon intérêt pour le documentaire.

Souvent, vous retournez après coup dans les bâtiments que vous avez photographiés. La vie qui s’y déroule change-t-elle l’architecture ?

L’homme n’a de cesse d’améliorer le bâti. Comment une construction, pur produit de la pensée, peut-elle prendre vie et devenir permanente ? Comment en arrive-t-elle à mener une vie autonome après le départ des concepteurs et des ouvriers ? Comment cela fonctionne-t-il dans la pratique ? En quoi le bâtiment change-t-il la vie quotidienne de ses usagers ? Des riverains, des autres habitants de la ville ? Cela m’intrigue…

Les bâtiments se ressemblent de plus en plus. Peut-on y faire quelque chose ?

En effet, ils semblent sortis d’un catalogue universel. Il y a désormais peu d’immeubles très spécifiques, érigés à des endroits qui le sont tout autant, et liés à leur continent, leur contexte et leur environnement. L’année dernière, j’ai produit, avec Manuel Herz, de l’Ecole polytechnique de Zurich, le livre African Modernism. A cette occasion, j’ai découvert de nombreuses écoles d’architecture sur le Continent noir et rencontré leurs étudiants. Leur seul regard sur la production contemporaine passe par des sites comme Dezeen et ArchDaily. Ils manquent en revanche de références et de connaissances locales, alors qu’il existe toute une histoire de l’art de bâtir dans leurs contrées. Comme elle risque de tomber rapidement dans l’oubli, nous avons voulu la fixer dans ce bouquin.

En 2016, Iwan Baan a fait un reportage sur les camps de réfugiés dans l'ouest du Sahara.
En 2016, Iwan Baan a fait un reportage sur les camps de réfugiés dans l’ouest du Sahara.© IWAN BAAN

Les nouveaux bâtiments sont en général construits en milieu urbain. Les zones rurales sont souvent oubliées. Faut-il le déplorer ?

Mes missions m’amènent principalement en ville, mais la campagne me fascine également. Surtout parce que le changement y est plus lent et que l’on y rencontre plus de formes traditionnelles. Je m’intéresse aux techniques de construction séculaires, à l’utilisation de matériaux locaux. Ces savoir-faire sont en train de disparaître. Je m’emploie par exemple depuis des années à immortaliser l’énorme diversité de formes architecturales que compte la Chine.

Pendant très longtemps, les magazines ont joué un rôle déterminant dans le secteur ; un rôle mis aujourd’hui sous pression. Lisez-vous encore ?

La presse d’architecture est dans une très mauvaise passe, aussi bien les grands titres prestigieux, comme Domus et Abitare, que les petites publications. Souvent, ils n’ont plus la volonté ni la possibilité de publier des articles vraiment indépendants. Ils s’en tiennent à ce que les agences de relations publiques leur servent sur un plateau : le texte est gratuit, les photos aussi. A mes débuts, il y a douze ans, j’ai beaucoup travaillé pour des revues et j’ai lancé des idées. Comme cela ne se fait presque plus, la gamme des publications s’appauvrit considérablement. Je me bats toujours pour que ce genre d’histoires soit diffusé d’une façon ou d’une autre. Je pense aux projets de jeunes architectes qui construisent en Afrique, comme Kunlé Adeyemi et ses écoles flottantes. Personne ne vous enverra sur le terrain pour un tel reportage, vous devez y aller de votre propre initiative. J’ai réussi à faire parler de ce projet, qui s’est fait connaître et a finalement remporté un Lion d’argent à la Biennale de Venise.

Thread, un centre socioculturel de l'architecte Toshiko Mori, au Sénégal.
Thread, un centre socioculturel de l’architecte Toshiko Mori, au Sénégal.© IWAN BAAN

Vous lâchez rarement votre iPhone, paraît-il…

Je suis assez actif sur Instagram, que je considère comme une sorte de journal intime. Je ne montre pas tellement d’oeuvres d’architecture, mais plutôt des choses insolites repérées à un endroit particulier. Je photographie tout avec mon iPhone. J’ai hâte que cet outil atteigne un niveau de qualité qui me permette de ne prendre que ça à l’extérieur. Je m’efforce de travailler avec le moins de matériel possible. Même mes photos d’architecture sont en général prises en un tournemain. Si j’avais besoin de pieds, de trois appareils photo, d’un ou deux assistants, je ne verrais plus les moments qui comptent vraiment pour moi. Dès lors, j’essaie de me faire aussi discret qu’une mouche sur un mur.

Iwan Baan, l'homme qui survole l'architecture contemporaine à travers le monde
© IWAN BAAN

En quelques mots

Iwan Baan est né en 1975 et a grandi dans la banlieue d’Amsterdam.

Iwan Baan, l'homme qui survole l'architecture contemporaine à travers le monde
© IWAN BAAN

– A 12 ans, il reçoit un appareil photo de sa grand-mère.

– Il étudie la photographie à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye.

– Après ses études, il abandonne vite la photographie de documentaire pour s’intéresser aux bâtiments.

– Il travaille entre autres pour Rem Koolhaas, Herzog & de Meuron, Zaha Hadid et SANAA, les plus grands architectes du monde.

– Il s’est fait publier par le New York Times, le Wall Street Journal et l’Architectural Digest.

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