Magellan, Colomb… et Suzanne

© CHARLOTTE LAMBY

1969. Suzanne quitte Berkeley avec un diplôme de composition et de musique générée par ordinateur. Papyrus ronflant mais inutile. No future. La musique traditionnelle ne la tente pas. Et le grand paquebot de la pop-music ne veut pas d’elle à bord. C’est heureux car d’ici quelques semaines, il aura l’allure d’une fosse commune. Suzanne passe son chemin et Suzanne est fauchée.

Dans les brumes de la côte ouest, Suzanne rencontre Don Buchla, célèbre inventeur d’instruments de musique électronique. Don l’engage dans son atelier. Alors Suzanne soude des circuits imprimés. Très mal. Don la vire. Suzanne revient et force la porte. Personne ne vire Suzanne. Mais Suzanne n’a rien de tangible, sauf Don et ses instruments visionnaires. Auxquels il manque une ambassadrice. Le puzzle incertain s’assemble.

Suzanne devient synthésiste. Profession inexistante à l’époque. Comprenez : qui pratique la synthèse sonore. Bien sûr, personne ne veut de Suzanne et de ses séquences mélodiques spiralées. Personne ne veut miser le moindre dollar sur un synthétiseur, qui plus est joué par une femme. Les salles de concert restent closes.

Suzanne est raillée. Suzanne est bâillonnée. Alors elle va crocheter la serrure. Forcer les oreilles. Et le respect. Sans budget, elle enregistre l’album live 1975 : The Buchla Concert. Face A : dans un magasin de musique (entrée libre). Face B : dans un loft (entrée tout aussi libre). Une performance très en avance sur son époque (et la nôtre). La musique des Who à côté, c’est du Tino Rossi. Le monde fait encore la sourde oreille mais plus pour très longtemps.

Nous savons aujourd’hui à qui l’avenir a donné raison. Car Suzanne aura tenu la barre seule, sans carte, à travers caps et tropiques, en vrai fille des vagues.

JÉRÔME MARDAGA

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