Répliquer les plats plus appétissants que les vrais, un art japonais

Noriyuki Mishima, "copiste alimentaire" © afp

Depuis 62 ans, le vétéran Noriyuki Mishima façonne des reproductions de mets qui ornent les vitrines des restaurants du Japon, un métier qui n’a pour ainsi dire pas évolué.

« Je ne compte pas, mais j’ai bien dû fabriquer plusieurs dizaines de milliers de plats », raconte cet homme jovial et bientôt octogénaire, en sortant du four un rôti de boeuf… en résine.

La grande majorité des restaurants au Japon exposent des reproductions de mets, en particulier les établissements bon marché. Ceux haut de gamme, eux, s’en passent. En vitrine, on trouve ainsi de faux sushis, de fausses nouilles et crevettes, de faux légumes panés…

Parfois, quand un restaurant est en sous-sol ou à l’étage, l’exposition de mets factices dans une petite vitrine au rez-de-chaussée permet de signaler les lieux et d’attirer le chaland.

Pour fabriquer ces répliques d’aliments, « le plus difficile est sans doute d’appliquer les couleurs », explique M. Mishima, qui travaille dans la toute petite entreprise Hatanaka, créée en 1965 à Tokorozawa, en banlieue de Tokyo.

Ici, pas de machines, mais des artisans qui se voient presque comme des artistes. « Avec des photos, on ne sait pas quel est le volume d’un mets: les reproductions sont de taille réelle et le client sait immédiatement avant même d’entrer dans un restaurant à quelle quantité s’attendre », explique le patron Norihito Hatanaka, qui a hérité de la firme familiale.

Faits main

Le progrès technique ne le préoccupe guère. « Les imprimantes en trois dimensions ne sont pas capables de créer exactement le même toucher que celui donné par un artiste », assure-t-il.

Travailler avec des impressions 3D reviendrait en outre plus cher que de réaliser les mets factices à la main, « car le matériel est onéreux et il faudrait de toute façon continuer de peindre », dit-il.

Et il manquerait forcément une touche sensible, estime M. Hatanaka. Car « il faut un sens de l’esthétique ». « C’est un travail que l’humain doit faire parce qu’il apporte la créativité qui fait défaut à la machine, incapable de savoir ce qui est beau et appétissant ».

Le doyen Mishima souligne que « le plus dur, c’est de reproduire des produits crus comme le poisson. Quand c’est grillé, la couleur a plus de traits caractéristiques faciles à recréer. Mais la couleur de la fraîcheur, elle, est difficile. C’est pareil pour les fruits et légumes ».

Il pense avoir à peu près réalisé tous les plats existant au Japon, y compris les menus d’origine étrangère.

Un cutter, des pinceaux, un four

M. Mishima explique travailler avec des instruments très simples. « Il n’y a pas d’outils spécifiques développés pour cette activité: un cutter, des pinceaux, un pistolet aérographe, un four », il n’en faut pas plus.

Tout peut être reproduit, y compris des gâteaux mous. Des milliers de mets factices sont ainsi conçus chaque année.

Un moule en silicone est d’abord fabriqué à partir du produit original. On y coule de la résine, qui sera ensuite cuite.

Pour fabriquer une réplique de hamburger, chaque élément est créé séparément et peint – la viande, le pain, la tomate, le fromage… – puis le tout est assemblé, avant l’application d’une couche de vernis.

Les reproductions de mets existent depuis près d’un siècle au Japon, un archipel de gourmets. Elles sont en général une copie si parfaite de l’original qu’il faut parfois toucher pour faire la différence.

La main-d’oeuvre et les matières coûteuses expliquent que le prix de vente unitaire puisse monter à plusieurs centaines d’euros pour les plats composés de nombreux ingrédients, tels ceux des festivités du Nouvel-An – « les plus chers », selon M. Hatanaka.

Des restaurants préfèrent louer des reproductions au lieu de les acheter, car, même faux, ces mets défraîchissent au fil du temps. « A la longue, l’exposition en vitrine fait varier les couleurs », précise le patron.

Serre-tête bacon

La moitié du marché des « faux plats » est contrôlée par le groupe fondateur de cette industrie, Iwasaki, le reste par une myriade de petites entreprises réparties dans tout le pays et qui travaillent à l’ancienne.

Une activité qui devrait perdurer encore, estime M. Mishima qui oeuvre aux côtés de trois jeunes filles.

« Mon rêve depuis enfant était de créer ces aliments factices », raconte l’une d’elles, Asumi Shimodaira, affairée à préparer des assiettes de ragoûtantes ravioles non comestibles. « On ne travaille pas à la chaîne, chacun réalise chaque pièce de A à Z », souligne-t-elle.

M. Hatanaka, lui, aime imaginer des reproductions de plats en train d’être mangés, par exemple des nouilles avec des baguettes en l’air. « Nous ne nous contentons pas de commandes de restaurants mais proposons des réalisations originales », insiste l’entrepreneur.

Il vend ainsi également des accessoires de mode, comme des colliers en « ramen » (variété de pâtes), des bagues oeufs au plat, des barrettes bananes, des serre-tête tranches de bacon ou des bottes dégoulinantes de glaces vanille-fraise…

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