Le vin sud-africain veut se défaire de son image de piquette

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Depuis vingt ans qu’il fait du vin, Ken Forrester s’est rarement plaint de son sort. « Nous n’avons jamais eu de mauvaise année », dit-il, « nos affaires prospèrent ». Mais le producteur de Stellenbosch l’avoue, l’avenir de l’industrie viticole sud-africaine l’inquiète.

Accroupi au milieu de ses rangées de ceps posées sur 50 hectares au pied des montagnes, Ken Forrester soupèse délicatement quelques grappes de son produit phare. Du chenin blanc. « Regardez cette moisissure. Elle est parfaite. Cette grappe-là est prête à être cueillie », explique le sexagénaire. « Il est très important de cueillir le fruit au bon moment. Sinon, votre vin est juste banal, et un vin banal, n’importe qui d’autre peut en faire ».

Sa recette semble porter ses fruits: l’an dernier, il a vendu près de 500.000 bouteilles. De quoi assurer largement ses fins de mois ? Pas si sûr. Car c’est là le coeur des difficultés de toute la filière sud-africaine: produire du vin ne paie pas, ou en tout cas pas assez. « Nous avons un grave problème de prix. Nous n’arrivons pas à vendre nos vins à un prix suffisant », résume Ken Forrester.

L’organisation qui regroupe les producteurs de la région du Cap, Vinpro, a résumé d’un chiffre l’ampleur du problème: quelque 40% de ses 3.200 membres perdent de l’argent, et 900 ont jeté l’éponge au cours des 10 dernières années. « Les producteurs sud-africains affichent un taux moyen de retour sur investissement de 2%, c’est bien trop bas pour que leur activité soit durable », confirme Edo Heyns, de Vinpro.

Le vin sud-africain veut se défaire de son image de piquette
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La qualité d’abord

Le secteur viticole emploie environ 290.000 personnes et contribue pour 2,6 milliards d’euros au produit intérieur brut de l’Afrique du Sud. Avec 10,5 millions d’hectolitres en 2016, le pays est le 8e producteur mondial de vin. « Les volumes ont été très bons en 2016 (…) mais nous devons obtenir de meilleurs prix pour nos vins », plaide Edo Heyns. « Les crus sud-africains ne sont souvent réputés que pour leur bon rapport qualité/prix, ça doit changer », insiste-t-il, « il nous faut de la qualité, de l’image, de la promotion ».

Joueur de rugby émérite, Jan « Bolen » Coetzee a porté six fois le maillot des Springboks avant d’acheter en 1980, tradition familiale oblige, son domaine sur les collines de Stellenbosch.

Le septuagénaire en est convaincu lui aussi, l’industrie doit définitivement renoncer à sa politique de la quantité.

Productrice de vin depuis plus de 300 ans, l’Afrique du Sud a subi de plein fouet l’embargo décrété contre ses produits dans les années 1980, au nom de la lutte contre l’apartheid. Et quand le marché s’est rouvert dans les années 1990, elle s’est empressée d’écouler ses stocks, quel qu’en soit le prix. « Au lieu de vendre nos meilleurs vins, nous avons vendu du vin de table par millions de litres », déplore Jan Coetzee, « notre seul argument était le prix, et le prix était bas ».

Même si les vins sud-africains rivalisent aujourd’hui dans les classements internationaux avec les plus prestigieux bordeaux, l’étiquette de piquette continue à coller à leurs bouteilles. « Je suis choqué qu’en Europe les gens soient prêts à payer plus pour une bouteille d’eau norvégienne tirée d’un glaçon que pour une bouteille de vin sud-africain ! », fulmine M. Coetzee.

Pour tenter de soutenir les prix, l’industrie viticole sud-africaine s’efforce donc de redresser l’image de ses vins à l’étranger, où est exportée plus de la moitié de sa production.

Place aux jeunes

« Nous avons environ 500 marques de vin mais pas une n’est reconnue dans le monde entier », concède Siobhan Thompson, la patronne de Wines of South Africa (Wosa), le bras commercial de la profession à l’export.

Sous forte concurrence du Nouveau-monde (Australie, Chili), elle se bat pour défendre la qualité sud-africaine auprès de ses clients traditionnels (Grande-Bretagne, Allemagne) et l’imposer sur les nouveaux marchés (Chine, Afrique).

« Je suis optimiste », assure Mme Thompson, « l’important, c’est que nous produisons des vins de qualité mondiale, nous méritons d’être correctement payés pour ça ».

Enseignant en économie de l’agriculture à l’université de Stellenbosch, Nick Vink est plus mesuré. Pour lui, la viticulture sud-africaine souffre d’un problème structurel.

« Du côté de l’offre, nous avons un problème chronique de sur-production », diagnostique-t-il, « et du point de vue de la demande (…) nous n’avons pas le marché intérieur qui permettrait de faire monter les prix au niveau nécessaire ».

Développer ce marché relève du défi, ajoute-t-il, car le plaisir du vin reste largement inconnu de la population noire, majoritaire. « Si vous ne leur vendez pas de vin, vous vous privez d’une large part de ce qu’il faudrait faire pour sauver l’industrie ».

Installé au Cap, le sommelier français Xavier Didier estime toutefois que le secteur est en train de changer, sous l’impulsion de la nouvelle vague des vignerons de la région du Swartland, au nord du Cap, qui a fait de la qualité sa priorité.

« Ces +young guns+ sont en train de révolutionner le secteur », juge-t-il, « ils ont coupé les ponts avec les grosses coopératives et travaillent la notion de terroir (…) l’avenir, c’est eux ».

En connaisseur, Jan Coetzee fait lui aussi le pari de la relève. « Seuls les producteurs peuvent changer l’image des vins sud-africains », assure-t-il, « notre jeune génération a beaucoup de talent, ils peuvent y arriver ».

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© Agence France-Presse

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